Abbas Araghchi: «l’espoir d’arriver à un accord sur le nucléaire»

Abbas Araghchi est le vice-ministre iranien des Affaires étrangères et le principal négociateur dans le dossier du nucléaire. A l’occasion de sa première visite officielle à Paris, il a accordé un entretien à RFI. «Nous restons optimistes», dit-il à quelques jours de la reprise des discussions nucléaires. L’Iran et le groupe des Six se sont donné un délai jusqu’au 24 novembre pour parvenir à un accord définitif. Abbas Araghchi appelle par ailleurs à une large mobilisation internationale pour lutter contre la progression de l’Etat islamique en Irak et en Syrie.

RFI: Il y a quelques jours, les Etats-Unis ont décidé d’imposer de nouvelles sanctions visant l’Iran. Quel est l’impact de cette décision sur les négociations prévues ce mois-ci à New York pour tenter de parvenir à un accord définitif sur la question du nucléaire iranien?

Abbas Araghchi: Ces nouvelles sanctions contredisent l’esprit et la lettre de l’accord intérimaire de Genève. Un geste comme celui-ci, en plein milieu d’une négociation délicate, c’est clairement le contraire d’un geste de bonne volonté ! La bonne volonté est nécessaire si nous voulons parvenir à un accord avant notre date limite. Nous pourrions faire la même chose. Il y a des points techniques dans l’accord de Genève qui nous permettraient de faire des choses qui déplaisent aux Américains.

Mais jusqu’à présent nous nous sommes abstenus de faire quoi que ce soit pouvant nuire aux négociations. Nous sommes toujours à la table des négociations. Et nous y resterons jusqu’au dernier moment. Nous espérons que cela n’affectera pas les négociations mais si cela se reproduit, nous devrons prendre des décisions en conséquence.

Les négociations sur le nucléaire qui débuteront dans quelques jours à New York ce sera le moment de vérité ?

Je le crois, ce sera une réunion très importante. D’ici là, nous allons avoir des entretiens bilatéraux avec certains membres du groupe des 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne) et nous espérons ainsi être prêts pour ce nouveau round de négociations. Ce seront des discussions délicates à un moment très important. Mais cela ne veut pas dire que tout s’arrête en cas d’échec en septembre à New York. Il nous reste toujours deux mois jusqu’à la date butoir du 24 novembre.

Et même si nous n’y arrivons pas à cette échéance, ça n’est pas la fin du monde. Et ça n’est pas la fin de la diplomatie. La diplomatie ne s’arrête jamais ! Nous sommes très sérieux et déterminés à conclure. En ce qui concerne les points de divergence, nous avons des idées et des solutions. Nous avons proposé plusieurs options et nous allons travailler là-dessus. Nous restons optimistes et nous avons l’espoir de parvenir à un accord dans le temps imparti.

Quels sont les principaux obstacles à la conclusion d’un accord définitif? S’agit-il de la question de l’enrichissement d’uranium et du nombre de centrifugeuses dont l’Iran veut disposer pour son programme nucléaire?

C’est l’un des sujets. L’autre est celui des sanctions : quand et comment seront-elles levées ? Et il y a des divergences profondes sur d’autres points. Pour l’instant, il n’y a d’accord sur aucun des sujets. Sur certains points, nous avons des options avec des positions qui se rapprochent. Mais sur d’autres points, ça n’est pas le cas. Nous avons toujours d’importantes divergences. Le nombre de centrifugeuses n’est que l’un de ces dossiers.

Si un accord sur le nucléaire est signé dans les prochaines semaines ou les prochains mois, verra-t-on ensuite un changement historique dans la relation entre l’Iran et les Etats-Unis?

Il y a une distinction entre les pourparlers nucléaires et la relation Iran/Etats-Unis. Nous négocions uniquement sur la question nucléaire, dans le cadre du «P5+1» [Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité + l’Allemagne]. Même avec un accord je ne crois pas que nous soyons prêts à entamer une discussion avec les Etats-Unis sur l’établissement de relations bilatérales. Nous devons nous concentrer sur la négociation nucléaire.

Il y a des sujets de préoccupation communs à l’Occident et à l’Iran. La lutte contre les jihadistes radicaux de l’Etat islamique en est un. Quelles sont aujourd’hui les actions de l’Iran contre ce groupe?

L’Iran considère ce groupe comme une menace immédiate. Ce soi-disant « Etat islamique » est en fait un groupe terroriste. Il faut prendre des mesures urgentes contre lui. L’Iran a pris ses responsabilités et nous continuons à lutter contre ce groupe. Nous avons aidé le gouvernement syrien et le gouvernement irakien à contenir cette organisation. Mais pour vaincre ces terroristes, je crois qu’il faut unifier les forces, venues de la région et de l’extérieur pour aider les gouvernements syrien et irakien à combattre ce groupe terroriste barbare.

S’il n’est pas stoppé en Irak et en Syrie, s’il n’est pas vaincu là-bas, il risque de se répandre dans la région et ailleurs dans le monde. Nous prenons nos responsabilités. Nous sommes en contact direct avec les gouvernements syrien et irakien. Ils nous consultent et nous les conseillons. Nous continuons à soutenir ces deux gouvernements dans leur lutte contre le terrorisme. Et nous espérons que les autres assurent aussi leur part.

La semaine dernière, le président François Hollande a déclaré que l’Iran pouvait jouer un rôle dans la lutte contre l’Etat islamique mais qu’il ne fallait pas créer de lien entre ce dossier et celui du nucléaire, qu’en pensez-vous?

Je suis d’accord avec lui. Nous pensons aussi qu’il s’agit de négociations distinctes. Nous discutons de la question nucléaire sans interférence avec les autres dossiers. Nous avons déjà été confrontés à cela dans le passé, avec l’Ukraine, Gaza et d’autres sujets. Nous n’avons pas permis que cela interfère dans la négociation et nous continuerons ainsi. En ce qui concerne la coopération dans d’autres domaines, nous pensons que nous devons d’abord conclure sur le nucléaire. Et alors nous aurons d’autres possibilités de contacts et de coopération.

C’est votre première visite en France en tant que vice-ministre des Affaires étrangères et négociateur nucléaire. Quelle est aujourd’hui l’atmosphère de la relation entre Paris et Téhéran?

La relation France-Iran est ancienne, historique. Et cela a souvent été une très bonne relation. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas comme toujours entre deux pays. Ces dernières années, la question nucléaire a fait obstacle à l’approfondissement de cette relation. Mais je pense que les possibilités sont énormes. Dans les domaines de l’économie, de la culture, de la politique, de la coopération régionale et internationale…

Et bien sûr, le potentiel commercial est énorme. Tous ceux que j’ai rencontrés ici ont manifesté de l’intérêt pour l’amélioration de la relation entre les deux pays. Nous travaillons aujourd’hui ensemble pour tenter de résoudre la question nucléaire et surmonter cet obstacle dans notre relation. Et je suis confiant : cela va se produire dans le futur.

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