Escales arctiques: une station longue et froide (épisode 10)

La nuit dernière, le vent a forci jusqu'à 25 noeuds (de force 5 à 6, environ 46 km/h), la mer a dépassé le stade « moutons », en termes de météo marine, c'est « vent frais et mer peu agitée à agitée », dit François Aurat, l'un des marins de Tara. Le bateau prenait le vent de travers avec pour résultat un roulis fort et intense. Ceux qui s'étaient couchés tôt étaient fortement secoués dans leurs bannettes et les tiroirs de la cuisine passaient leur temps à s'ouvrir et se refermer bruyamment. La consigne du capitaine aux marins de quart était de surveiller l'apparition de possible icebergs. C'est vrai que nous filions à 9 noeuds avec les deux moteurs en marche, donc mieux valait surveiller.

  • Dimanche 9 juin

L'hypothèse de la survenue d'iceberg est pertinente car nous nous sommes rapprochés jusqu'à 250 km des côtes du Groenland et le vent soufflait de cette direction, à l'ouest. Or le Groenland est la principale source d'icebergs dans la région, c'est de cette côte qu'ils se détachent le plus souvent en cette saison.

Des voiles !

A minuit, au passage de quart, le soleil brillait assez haut sur l'horizon (d'ailleurs on ne peut plus parler de « quart de nuit » !) et le vent soufflait assez pour que les deux marins de quart, François Aurat et Louis Wilmotte, hissent le yankee, une voile d'avant.

Cette manœuvre avait deux objectifs : le premier, soulager les moteurs (et diminuer la consommation de carburant) sans perdre de vitesse, car nous devions atteindre au moins les 75° Nord pour être sur les lieux prévus pour la station longue avant 7h30 du matin ; et le second, redresser un peu le bateau et diminuer le roulis pour permettre aux gens de dormir. Avec le yankee, les moteurs ont été réduits et le bateau a effectivement continué à naviguer sans perte de vitesse. Pour le roulis, ce matin, les avis étaient mitigés. Dans l'ensemble, tout le monde avait plutôt mal dormi. Dommage, car une longue journée attendait l'ensemble des scientifiques.

Froid aux doigts

Oui, avec un maximum de température extérieure à 0°C et un peu de neige par-ci par-là, les scientifiques, qui travaillent quasiment tout le temps dehors aujourd'hui, ont froid malgré un équipement adéquat. Tout le monde a revêtu une salopette et un blouson étanches, les bottes, les gants et le bonnet sont de rigueur. Car les travaux consistant à plonger et récupérer la rosette CTD et les filets, à tirer des tuyaux, à échantillonner et mettre en tubes dans le labo humide – Wet Lab – se font tous au contact de l'eau glacée. Malheureusement, pour tous les travaux nécessitant de la dextérité, c'est la finesse des gants qui prime sur l'isolation. Moralité, presque tout le monde a froid aux mains.

Pour de beaux résultats

La pêche est bonne aujourd'hui. C'était un bon choix de s'arrêter là, car nous sommes en plein dans un bloom de plancton. L'eau est quasiment marron de phytoplancton. Ici, les copépodes – petits crustacés appartenant au zooplancton - peuvent atteindre 1 cm de long, ce qui est inattendu. Il y en a tellement qu'il est très difficile de filtrer l'eau, ils bouchent les trous des filtres et l'eau prend un temps fou à passer. Mais le résultat est riche d'organismes et de surprises. De quoi nourrir les laboratoires de recherche pour les années à venir !

Depuis Tara, à 17h, 76° Nord et 1°46 Est, en mer du Groenland…

Partager :