Dans une partie de Cluedo, ce serait un peu comme si les joueurs connaissaient le nom de l’assassin, l’arme avec laquelle il a tué, mais ignoraient toujours le lieu où il a commis son crime !
« Rare, hautement infectieuse, agressive, résistante... »
« Extrêmement rare, hautement infectieuse, agressive et résistante aux antibiotiques ». Voilà pour le pedigree de la tueuse en série. Un tableau signé des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui reprenaient jeudi 2 juin les conclusions des équipes chinoises et allemandes : la bactérie décryptée est une variante de l’E.coli. Une bactérie responsable de diarrhées humaines facilement traitées à base d’antibiotiques. Mais E.coli colonise surtout les intestins des animaux, et de ce fait, ses déjections. Les excréments pouvant se répandre dans la terre ou l’eau, qui elles-mêmes contamineraient les aliments de la chaîne alimentaire. La contamination à l’homme se fait au contact de l’animal ou via la nourriture, et toujours sur des aliments crus.
« La différence de cette bactérie là avec l’E.coli telle que nous la connaissons normalement, est qu’elle a touché principalement des femmes adultes. Alors que l’E.coli s’attaque d’abord aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes qui ont un système immunitaire fragile. Là, le problème c’est que cette bactérie rare s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. C'est-à-dire dans de la nourriture consommée crue par beaucoup de monde en même temps », estime pour sa part, le docteur François-Xavier Weill, chef de l’unité des bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur de Paris.
Matricule 0104H : H4 (version européenne) EAEC 55989 (version Pékinoise) : une bactérie fermée à double tour
La toxicité de cette forme singulière d’E.coli, serait due au mélange de deux germes qui la rende particulièrement résistante. « Ces germes n'ont auparavant jamais produit d'épidémie humaine. Un cas unique a été relevé dans le passé. Il s’agissait d’une femme de 29 ans en Corée du Sud », expliquait jeudi 2 juin Gregory Hartl, l’un des porte-parole de l’OMS. L’indice est précieux, mais il ne permet pas de résoudre toute l’énigme de ces mystérieuses affections.
Manque encore la clé principale de l’enquête, l’inconnu qui donnerait les moyens à la science d’enrayer la contamination : sa localisation. Un lieu d’habitation connu, ce sont aussi des consignes de sécurité plus précises à diffuser. « Les autorités sont engagées dans une course contre la montre pour enrayer cette crise grave dont la source doit être identifiée le plus vite possible. Car tant que le lot alimentaire n’a pas été repéré et retiré du marché, les transmissions continuent », assure John Dalli, le commissaire européen chargé de la santé.
Concombre, fruits ou légumes, innocents présumés
S’il a fallu autant de temps pour innocenter le concombre espagnol, c’est qu’il faut avant tout cultiver les bactéries des échantillons prélevés dans les supermarchés avant de pouvoir déterminer la chaîne de transmission. En général, toutes les affections à l’E.coli touchent les reins et attaquent le système digestif. Dans le cas actuel, elles provoquent de plus graves insuffisances rénales et neurobiologiques. « Nous avons des patients qui n’ont pas de diarrhées mais de sévères troubles neurobiologiques, difficultés à s’exprimer, épilepsie… », décrit Ulrich Kunzendorf, directeur de l’hôpital de Kiel, dans le nord de l’Allemagne. Des difficultés qui apparaissent trois à quatre jours après les premiers symptômes, et pouvant conduire à la mort du patient. Si la propagation de la bactérie semble se stabiliser, selon la Société allemande de néphrologie de la région de Hanovre où ont été enregistrés plusieurs décès, les consommateurs ne sont pas pour autant à l’abri des maladies puisqu’on estime la période d’incubation entre 5 et 15 jours.
Peut-être la charcuterie, ou la viande hachée mal préparée
« Il existe une forme de l’E.coli très proche de celle décryptée par les experts allemands, se souvient le professeur Benoît Coffin, chef du Service d’Hépato-Gastroentérologie de l’Hôpital Mourier à Colombes en région parisienne, elle a sévi aux Etats-Unis dans des restaurants fast-food, de restauration rapide. Il s’agissait d’une contamination due à de la viande mal cuite. Peut-être, pour trouver l’origine de la contamination, faudrait-il chercher du côté de la restauration rapide en Allemagne. L’E.coli se niche plus favorablement dans la viande que les fibres des légumes. Il ne faut pas non plus rendre les citoyens plus inquiets qu’il ne faut, car la chaîne alimentaire industrielle reste très restrictive et compétente en matière de sécurité alimentaire, ce genre de contamination arrive de temps en temps, mais se résorbe toujours dès la source retrouvée. »
L’idée des restaurants rapides n’est pas forcement partagée puisque d'autres médecins de l’Institut de l’hygiène et de la médecine gouvernementale à Berlin estiment qu'on ne connaitra sans doute jamais le point de départ de cette épidémie.
Parmi les 2 000 personnes touchées par la bactérie, mais moins sévèrement, beaucoup de clientes de supermarchés, adeptes de salades et de crudités, mais qui ne se souviennent pas de tout ce qu’elles ont mangé ces dix derniers jours. D’autre part, les lots de concombre ou de légumes pouvant être « porteur » de la bactérie ont été retirés des rayons, ou vite détruits, impossible à récupérer.
Les affaires restent les affaires
L’annonce de la carte d’identité de cette mystérieuse bactérie éloigne les fruits et les légumes innocentés, mais le mal est fait. Et donc, « Business as usual » , les affaires restent les affaires, les producteurs de pays agricoles tels que l’Espagne, le Portugal, la France ou l’Italie attendent déjà leur enveloppe pour les préjudices commerciaux d’ores et déjà subits. Jeudi soir, dès les premières explications de l’Organisation mondiale de la santé, Bruxelles réagissait en demandant à la Russie de lever son embargo sur les légumes du continent.