RFI : Les discussions qui s’ouvrent au Caire sont cruciales pour l’avenir de l’Etat hébreu et des Palestiniens, après des années de guerre, que peut-on attendre de ce rendez-vous diplomatique ?
Frédéric Encel : A très court terme, on peut en attendre beaucoup. C'est-à-dire la prorogation de la trêve qui d’ailleurs pour l’instant est bien respectée de part et d’autre. Simplement, parce que des deux côtés on a intérêt, très objectivement, à ce qu’il y ait cette prorogation. Israël considère qu’il a rempli sa mission en détruisant la plupart voire tous les tunnels, et puis en cassant l’infrastructure balistique du Hamas, en la neutralisant aussi grâce à « Dôme de fer ».
Et puis, du côté du Hamas on considère quand même qu’on a tenu suffisamment pour garder la tête haute, sachant que le Hamas a pris des coups extrêmement durs. Le problème est de savoir si cette simple prorogation sur le plan strictement militaire va être suivie de négociations politiques. Et là, je serai beaucoup plus prudent.
Sur le plan militaire on peut aboutir à quelque chose, mais pas sur le plan politique pour le moment ?
C’est ça. C'est-à-dire qu’en fait les rapports entre le Hamas et Israël sont simplement des rapports militaires. C’est peut-être bête à dire comme ça, mais c’est vrai. Puisque ce sont deux entités qui font la guerre et qui ne se reconnaissent pas depuis maintenant plus de trente ans. Donc en réalité, c’est une guerre qui est ponctuée de trêves et de cessez-le-feu. Tous les deux, trois ans une montée aux extrêmes reprend, mais le volet politique en réalité, des rapports entre Israéliens et Palestiniens, il se fait avec l’autorité palestinienne de l’autre côté, en Cisjordanie, avec le président Mahmoud Abbas. Et c’est d’ailleurs cette autorité palestinienne-là qui est reconnue comme légale et légitime par l’ensemble de la Communauté internationale et certainement pas le Hamas.
Le dialogue s’établit bien entre le Hamas et Israël ? Il y a vraiment des discussions ?
Il y a une discussion secrète. C’est-à-dire que par définition, puisqu’Israël ne reconnaît pas le Hamas – il le reconnaît comme un mouvement exclusivement terroriste – et puisque le Hamas n’a jamais reconnu Israël, on discute évidemment via notamment les Egyptiens. Mais tout cela reste extrêmement secret. Et surtout, c’est une négociation strictement logistique et militaire. Il n’y a aucune négociation de type politique tant le fossé d’interprétation est gigantesque entre le Hamas et Israël.
L’offensive a été déclenchée «officiellement» par la mort des trois jeunes Israéliens qui ont été enlevés puis assassinés en Cisjordanie. Israël a tout de suite riposté militairement sans aucune demande en fait. Ça a été une réplique militaire immédiate...
Oui, absolument immédiate. Il n’y a pas eu de demande puisqu’il n’y a pas de demande avec un adversaire que vous ne reconnaissez pas comme tel, en tout cas sur le plan politique. Donc à partir du moment où les Israéliens ne conçoivent le Hamas que comme un mouvement terroriste et doté d’une branche qu’on va appeler militaire, lorsqu’Israël prend des coups il réplique. Mais pas sur le plan politique. Et c’est ça qui manque aujourd’hui au Proche-Orient. C’est une dimension politique qui existait depuis un an grâce à John Kerry, entre l’autorité palestinienne et le gouvernement israélien. Malheureusement, en avril dernier ça s’est arrêté, précisément parce que le gouvernement palestinien a été soutenu par le Hamas et le Fatah, donc l’autorité palestinienne. Ce qui a provoqué l’arrêt du processus de paix par le gouvernement israélien.
Alors penchons-nous sur ce que demandent les deux parties. Qu’est-ce qu’attend Israël de la part du Hamas ?
Ce qu’attend Israël de la part du Hamas, c’est une démilitarisation totale de la bande de Gaza, ce qui est absolument illusoire, bien évidemment.
Mais qui a commencé avec les bombardements ?
Les bombardements ont eu lieu et ont été sans précédent et extrêmement durs. Oui, c’était en guise de riposte à ce que vous avez rappelé tout à l’heure d’une part. D’autre part, les Israéliens, pour des raisons morales et politiques, n’iront pas jusqu’au bout. Jusqu’au bout, c’est quoi ? Ce serait réoccuper totalement la bande de Gaza et fouiller maison par maison – j’allais dire Palestinien par Palestinien – , il y en a un million huit cent mille quand même, pour découvrir jusqu’au moindre pistolet. C’est inimaginable ! Peut-être que l’armée russe l’a fait en Tchétchénie en 1999 mais Israël ne le ferait pas pour des raisons morales et politiques. Donc ce n’est pas possible. Et vous ne pouvez bien sûr pas demander au Hamas dont l’activité militaire est objectivement importante de se désarmer totalement. C’est tout simplement une aspiration qui n’a pas de sens.
Et du côté du Hamas quelles sont les demandes vis-à-vis d’Israël ?
Ce n’est pas tellement plus sérieux parce que le Hamas depuis l’établissement de sa charte en 1988 et jusqu’à ses toutes dernières actions et propos publics, demande la destruction de l’Etat d’Israël. Dans une véritable négociation, c’est un petit peu compliqué de demander la mort de l’autre.
A tout le moins quand même, pour signer cette trêve, le Hamas, il y a quelques jours encore, demandait a minima la fin du blocus israélien sur la bande de Gaza et l’établissement d’un Etat palestinien. On revient en fait à une dimension politique et qui ne concerne pas directement le Hamas. Personne au monde, sauf peut-être le Qatar, ne veut discuter avec le Hamas. C’est un petit pays et puis surtout il joue la politique du pire en permanence. On a bien vu que les Etats arabes eux-mêmes ne soutenaient pas en réalité le Hamas, pas d’avantage que l’intégralité des membres permanents du Conseil de sécurité.
Mais le Hamas fait partie du gouvernement palestinien aujourd’hui...
Oui, en tout cas il le soutient. Il n’y a pas de ministres officiellement Fatah ou des ministres officiellement Hamas. En revanche, le gouvernement palestinien depuis avril dernier est soutenu très officiellement à la fois par le Hamas et par le Fatah. C’est d’ailleurs ce qui a provoqué la fin du processus de paix avec Israël.
La négociation passe forcément par une discussion avec le Hamas faisant partie de ce gouvernement ? Etes-vous d’accord ?
Oui, le problème est là. En fait c’est la quadrature du cercle. C'est-à-dire que Mahmoud Abbas dit depuis des années au gouvernement israélien et en l’occurrence au gouvernement nationaliste de Netanyahou : « Donnez-nous davantage de crédibilité, avancez sur le chemin de la paix, faites des concessions, parce que sinon nous allons être considérés comme des faibles ou comme des traites par le Hamas, qui représente quand même beaucoup de gens en Palestine ! »
Sans l’appui de la Communauté internationale, il n’y a pas de fin de conflit possible ?
Non, je n’y crois pas. Je pense qu’il faut absolument une impulsion internationale. Et cette impulsion encore aujourd’hui quoi qu’on dise de l’affaiblissement des Américains, ne peut provenir que de Washington.