RFI : Avec cette élection présidentielle, est-ce que Bachar el-Assad marque un point ? Est-ce un tournant décisif dans le rapport de force entre lui et les groupes armés qui s’opposent à son régime ?
Thomas Pierret : Intrinsèquement, cette élection ne veut pas dire grand-chose, mais le contexte dans lequel elle intervient est important, quelques semaines après la reprise de Homs, ancienne capitale de la révolution, par les troupes loyalistes. Et donc, psychologiquement, cette élection pour un nouveau mandat de sept ans (mais on sait que dans la Syrie des Assad, les mandats sont des mandats à vie) vient confirmer à beaucoup de Syriens que le régime va durer encore très longtemps. Effectivement, on va dire que c’est une victoire psychologique même si le résultat de cette élection est joué d’avance.
Vous le disiez de façon allusive, cette élection n’en est pas une, pourquoi ?
Pour tout un tas de raisons : il y a toute une série de conditions qui limitaient à l’extrême le nombre de candidats qui pouvaient se présenter. Ensuite, il y a les circonstances dans lesquelles se produisent les élections : trois années de massacres de destructions inimaginables, de déplacement de 40% de la population... Tout ça est l’antithèse de ce qu’on pourrait appeler un climat propice à des élections démocratiques. Deux malheureux candidats se sont présentés contre Bachar el-Assad, personne ne les connaît… même s’ils faisaient un score honorable, je pense que le ministère de l’Intérieur s’arrangerait pour le maquiller et on peut s’attendre à ce que Bachar el-Assad s’en tire avec un score stalinien. Enfin, il y a toute la machine de l’Etat derrière le « candidat » Bachar el-Assad : une sorte de campagne officielle étatique pour un des candidats.
Vous avez parlé du « mandat à vie », tel qu'il est envisagé dans la famille Assad, c’est leur vision du pouvoir?
Bien sûr, vous savez c’est un vieux slogan du régime syrien sous la famille Assad, c’est « Assad pour l’éternité », vous lisez ça partout en Syrie. Ce n’est pas seulement à vie : l’ancien président Hafez el-Assad, père de Bachar, est appelé le « leader éternel » dans la propagande officielle, ça veut dire qu’il continue de régner même après sa mort. Et le fils de Bachar el-Assad, qui est aujourd’hui un gamin, s’appelle Hafez comme son grand-père. Je l’ai déjà vu dans des photos de propagande en uniforme militaire. On signifie bien aux Syriens que ce petit Assad est là pour régner lui aussi un jour.
Y a-t-il aujourd’hui un désinvestissement international face à la crise syrienne de la part des Occidentaux et des pays du Golfe, qui soutiennent l’opposition ?
Paradoxalement pas vraiment. Car les Occidentaux ne se sont jamais vraiment beaucoup investis et on pourrait dire à la rigueur que les Etats-Unis aujourd’hui s’investissent un petit peu plus qu’ils ne l’ont fait par le passé. C'est-à-dire qu’ils livrent quelques armes un petit peu sophistiquées, des armes qu’ils n’avaient jamais livrées par le passé. D’un point de vue strictement militaire, les Américains sont un peu plus investis aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a un an. Encore une fois, on part d’à peu près zéro, donc il n’est pas difficile d’en faire plus. S’agissant des pays du Golfe, je n’ai pas l’impression qu’il y ait désinvestissement, en tout cas, il n’y a aucun signal clair qui montrerait par exemple que l’aide logistique venant d’Arabie Saoudite ou du Qatar ou de Turquie a diminué. S’agissant de la Turquie, je dirais même que ça s’est plutôt accentué au cours des derniers mois. Donc non, je ne pense pas qu’il y ait désinvestissement des alliés de l’opposition.
Quels scénarios envisagez-vous pour la Syrie après cette présidentielle ?
Je ne pense pas qu’il faille envisager des changements dramatiques. Militairement, même si c’est vrai que le régime a gagné des points dernièrement, je n’envisage pas de basculement spectaculaire en faveur du régime. Il y a aussi des provinces où ce sont les rebelles qui gagnent du terrain, en particulier la province d’Idlib. En fait, le scénario le plus probable, c’est qu’on reste dans cette situation de statu quo extrêmement meurtrier, extrêmement violent avec des avancées plus ou moins limitées des deux côtés.