► Les législatives en Irak seront le sujet du Décryptage de ce mercredi, à 19h10 (heure de Paris, 17h10 TU). Invitée : Myriam Benraad, spécialiste de l'Irak au Ceri Sciences Po.
Pas un rond-point sans une multitude d’affiches électorales. Bleu, jaune, orange, chaque parti a sa couleur et son mot d’ordre. « Les citoyens décideront », clament les affiches du parti chiite le Conseil islamique suprême. Les partisans de Moqtada Sadr se sont baptisés « les hommes libres ». On gomme le caractère islamique et on se clame proche des électeurs.
Car si la campagne est partout, dans tous les journaux, toutes les télévisions, toutes les rues, les Irakiens, eux, ne disent qu’une chose : on veut le changement. Le changement, ça veut dire un Parlement différent avec de nouvelles têtes, mais surtout un Parlement qui fonctionne. La dernière législature a été marquée par des luttes entre communautés et un blocage des institutions. Résultat : aucune loi importante n’a été votée, et le budget 2014 est toujours en attente. Et comme il y a quatre ans, les électeurs veulent plus de sécurité, et des services publics dignes de ce nom. L’Irak est toujours le royaume des générateurs privés plus de 10 ans après la chute de Saddam Hussein.
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A Bassora, la grande ville du Sud irakien, le poumon économique de l’Irak, la sécurité est là, mais les routes sont défoncées, les ordures sont éparpillées dans les rues et font planer une odeur pestilentielle dès que la température grimpe. Pour ce jeune étudiant de 21 ans, il faut le changement, des professeurs compétents, et surtout du travail, « les blocs politiques (traduisez les différents groupes communautaires) doivent s'entendre au Parlement et travailler ». Son ami commente juste avec un « Inch Allah ! » (Si Dieu le veut !) et il se moque de son ami : « ils veulent juste se remplir les poches, mais ils ne feront rien pour nous, comme les autres. Nous les pauvres sans travail on ne compte pas. »
Un quadragénaire fume son narghileh sur la corniche. Il se veut confiant. « C’est la démocratie, il y a 750 candidats pour la seule ville de Bassora, rien à voir avec l’ère Saddam Hussein. Mais c'est vrai que le Parlement irakien n’a rien fait depuis quatre ans, mais c’est la faute au terrorisme », commente-il.
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« Un échec collectif »
Même réponse d’une députée sortante, elle a été députée pendant huit années dans le bloc de Nouri al-Maliki, le Premier ministre (« L’Alliance pour l’état de droit »). Cette fois-ci, elle se présente sur la liste des citoyens, la liste du parti chiite concurrent d’Ammar al-Hakim. Jihan Brissam refuse de blâmer Nouri al-Maliki pour l’échec de ces dernières quatre années : « c’est l’échec collectif . C'est un problème de relations entre personnes, entre communautés, ce n'est pas l’échec d'un seul homme », alors si beaucoup aimeraient voir le Premier ministre sortant perdant, elle souligne la force de l’état de droit. « Ils ont de l'argent et le distribue à beaucoup, certains sont prêts à vendre leur vote pour un travail ou de l’argent ». Elle ne fera pas le lien entre terrorisme et conflit politique.
Les chiites et les sunnites ne veulent plus d'al-Maliki
Dans son propre camp, les Sadristes font l’équation, ils ont dit haut et fort ne pas vouloir de Nouri al-Maliki pour un troisième mandat, même s’ils ont été ces dernières années ses alliés au Parlement. Mazen al-Mazeni, candidat à Bassora, le qualifie de nouveau dictateur. « Et personne en Irak ne veut d'un nouveau dictateur. Aujourd’hui, les chiites ont des problèmes avec les Kurdes et les sunnites , ça ne peut plus continuer comme cela. »
Les dernières quatre années ont été marquées par des tensions entre les Kurdes et Nouri al-Maliki, et entre les sunnites et Nouri al-Maliki. Les sunnites accusent le Premier ministre de discrimination. Ils ont manifesté pendant de fin 2012 à fin 2013 pour qu’on les écoute. Le 1er janvier 2014, le Premier ministre a lancé une opération dans la grande région sunnite d’Al-Anbar. Les deux communautés ont fait savoir qu’elles ne voulaient plus de lui comme Premier ministre. Mais bien sûr, beaucoup de candidats chiites rappellent que tout dépendra du résultat des urnes ce mercredi 30 avril. En clair, si Maliki arrive en tête, il sera difficile de lui tourner le dos et de construire une majorité parlementaire sunnite, kurde et chiite pour lui barrer la route.
L'Irak englué dans une spirale de violence
Si, en général, les électeurs assurent qu’ils iront voter, on sent une sorte d’angoisse. Chacun sait que la situation est grave. La violence a retrouvé les niveaux de 2008. 1 000 personnes environ meurent dans des attentats chaque mois en Irak. Et la campagne militaire lancée au début de l’année dans une région sunnite a fait des centaines de morts, dont beaucoup de civils. Aucun bilan n’a été officiellement publié.
Sarmar al-Tai, un journaliste du quotidien Al -Mada, réfugié au Kurdistan, après que le Premier ministre en personne a lancé un mandat d’arrêt contre lui, est pessimiste : « ce scrutin est important. S’il y a une transition pacifique du pouvoir avec une nouvelle coalition, l’Irak s’en sortira, et restera uni. Mais si Maliki est en tête ou s’il réussit à rester au pouvoir, il n’y aura pas de sortie de crise, et la violence va exploser. Ce sera la fin du processus politique en Irak. »