Nucléaire iranien: la France considérée par l'Iran comme le pays le plus intransigeant

Deux jours de négociations s'ouvrent à Genève sur le dossier du nucléaire iranien. Autour de la table, les représentants de 6 pays du Conseil de sécurité de l'ONU, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Face à eux, les négociateurs iraniens. Ces deux jours ont-ils des chances de déboucher enfin sur quelque chose de concret ? Clément Therme, chercheur associé à l'école des Hautes Etudes en Sciences Sociales répond aux questions de RFI.

RFI : Le mois dernier à Genève déjà, la délégation iranienne a présenté son plan, un plan dont on ne sait rien ou presque. Pourquoi, selon vous, le secret comme méthode ?

Clément Therme : En fait le secret est indispensable dans ce genre de négociations puisqu’il y a des oppositions politiques internes, notamment aux Etats-Unis et en Iran, pour empêcher que les parties parviennent à un accord. Donc il est dans l’intérêt des deux camps de préserver une certaine confidentialité pour pouvoir aboutir à des résultats, sans subir des pressions des radicaux des deux camps.

Mohammad Jawad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères, vient de passer deux jours à Paris. Il a rencontré son homologue Laurent Fabius avec ce message : « On peut y arriver ». Que doit-on comprendre ? 

Je pense que oui, l’intérêt de la partie iranienne est d’adoucir la position française qui est une des plus fermes de l’ensemble du groupe des 5+1. C’est une priorité je pense, du point de vue de l’Iran, d’amener Paris à une plus grande modération. D’un autre côté, la France aussi a intérêt à intégrer l’Iran dans le processus de négociation pour parvenir à une solution dans les crises politiques au Moyen-Orient, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, de la Syrie ou de l’Irak. L’ensemble des parties ont intérêt à utiliser le nucléaire comme un premier pas vers un accord, un apaisement plus global pour parvenir à réduire l’instabilité au Moyen-Orient.

La France, vous le disiez, est considérée par Téhéran comme l’un des pays les plus intransigeants dans ce dossier du nucléaire. Comment se positionnent les cinq autres représentants occidentaux ?

Je pense que par exemple les Etats-Unis, la Russie et la Chine sont prêts à accepter le fait que l’Iran soit un pays du nucléaire civil et d’une capacité d’enrichissement d’uranium, ce que la France et Israël n’acceptent pas pour l’instant. C’est vrai qu’ils ont des positions, sur le plan en tout cas de la doctrine diplomatique, qui sont plus ouvertes que celles de la France.

Jawad Zarif a dit espérer que la France et ses alliés fassent preuve de réalisme et changent leur approche. Ça veut dire quoi ?

Ça veut dire surtout l’abandon du recours à la menace de l’utilisation de la force comme un moyen de négociation. Le fait, par exemple, à plusieurs reprises, que ce soient les dirigeants français, les dirigeants américains ou les dirigeants israéliens, qui menacent de bombarder l’Iran, ce genre de rhétorique martiale ou guerrière du point de vue iranien doit être abandonnée.

Je pense que le changement de discours d’Obama est extrêmement positif et que l’ensemble des pays européens vont suivre cette approche américaine qui désormais exclut le recours à la force pour régler les conflits politiques au Moyen-Orient, notamment en fonction de l’expérience de l’Irak et de l’Afghanistan, puisqu’on sait maintenant que les interventions militaires extérieures sont très risquées et ne parviennent pas au résultat escompté. Notamment, cette idéologie néoconservatrice qui visait à exporter la démocratie au Moyen-Orient a largement échoué aujourd’hui.

Côté iranien on a aussi un nouveau président, Hassan Rohani, que l’on dit plus modéré. Lui et le guide suprême sont-ils sur la même longueur d’onde dans ce dossier nucléaire ?

Je pense qu’il y a un consensus national en Iran sur le fait que le nucléaire est une question de souveraineté nationale. Maintenant, je pense qu’il y a des divergences aussi en Iran sur les questions de méthode, comment parvenir à développer les technologies nucléaires. Je pense que le président Rohani est plus pour un compromis avec l’Occident puisqu’il estime que par la coopération, l’Iran peut parvenir à devenir un pays développé, un pays émergent.

Et donc il privilégie la négociation et le dialogue alors que le guide pense que l’Iran ne peut compter sur lui-même et que l’Occident est, de manière irréductible, hostile à la République islamiste d’Iran. Donc il est très pessimiste. Je pense qu’il y a en Iran deux visions, l'une optimiste et l'autre pessimiste, sur les intentions de l’Occident vis-à-vis de l’Iran.

Ça veut dire qu’il y a une forte pression des plus conservateurs ?

Tout à fait, puisque la pression s’exerce à la fois sur les concessions que peut faire le président Rohani pour satisfaire les exigences occidentales, mais aussi sur les questions de politique interne, sur la question de la libéralisation, par exemple de l’Internet ou les Iraniens qui ont voté par exemple pour le président Rohani, veulent plus de droits et plus de liberté. Donc je pense que le pouvoir du président est quand même extrêmement limité dans un système politique tel que la République islamique.

L’Iran demande que soit reconnu son droit à enrichir de l’uranium. C’est un droit qui existe ? En tout cas est-ce que cela peut être reconnu à Téhéran ?

Oui, il est reconnu par l’ensemble des pays non alignés, c’est plus d’une centaine de pays. Je vous l’ai dit précédemment, la France est une exception, puisque la France estime que ce n’est pas un droit positif. Mais je pense qu’il y a un consensus aujourd’hui dans les relations entre les Etats dotés de l’arme nucléaire et les Etats non dotés pour que l'accès aux technologies du nucléaire civil soit facilité. Maintenant, toute l’ambiguïté réside dans le fait qu’il faut parvenir à contrôler ce droit et qu’il n’y ait pas de détournement du programme nucléaire iranien.

Y a-t-il déjà des entreprises européennes, américaines qui s’agitent en coulisse pour investir le marché iranien en cas de déblocage du dossier ?

Oui, tout à fait. Les entreprises ont intérêt à prendre des contacts dès aujourd’hui dans la perspective même lointaine d’une levée des sanctions, puisque les entreprises qui ne prennent pas contact avant la levée des sanctions seront dépassées par les autres. Donc il y a évidemment une compétition là aussi, entre les entreprises, par exemple américaines et européennes, notamment dans le secteur automobile et dans le secteur de l’énergie.

Renault et Peugeot sont présents là-bas ?

Oui, les sanctions n’affectent pas seulement l’économie iranienne et la population iranienne qui s’appauvrit. Il y a eu de nombreuses victimes des sanctions iraniennes aussi en France, notamment chez Peugeot, des fermetures d’usines, du chômage. Donc l’arrêt des coopérations commerciales entre l’Iran et les pays européens affecte les deux parties.

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