Hassan Rohani se voulait un président plus ouvert que son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad, il le prouve dans un domaine inattendu, celui des réseaux sociaux. En ouvrant un compte sur Twitter, l’un des réseaux les plus en vue du moment, et en le faisant en langue anglaise, le nouveau président iranien a créé la sensation en quelques semaines. Au début de l’Assemblée générale des Nations unies, le 22 septembre 2013, Hassan Rohani comptait quelque 10 000 abonnés. A la fin de la semaine il en comptait près de 100 000, une barre largement dépassée depuis.
Une utilisation inattendue de l'outil Twitter
Comment expliquer ce soudain engouement ? D’abord par l’utilisation que fait le président iranien du réseau social. Contrairement à de nombreux dirigeants politiques, plutôt réservés et en tout cas prudents sur internet, Hassan Rohani n’hésite pas à utiliser son compte pour livrer des informations de première main, et cela quasiment en temps réel. Le 27 septembre, c’est ainsi par le biais de Twitter qu’il révèle avoir eu une conversation téléphonique avec Barack Obama, le président des Etats-Unis, et l’information est historique car c’est le premier contact de ce genre entre un président iranien et américain depuis 1979 ! Le tweet de Hassan Rohani intervient alors que son homologue choisit d’en parler au même moment, mais par un biais beaucoup plus traditionnel, celui de la conférence de presse. Et le président iranien d’enfoncer le clou en se prenant en photo, hilare, dans l’avion qui doit le ramener à Téhéran.
Une ouverture paradoxale pour les Iraniens
Paradoxalement, le président iranien fait preuve d’ouverture en utilisant l’un des réseaux sociaux les plus pointus du moment… alors qu’en Iran les internautes sont eux-mêmes interdits d’accès à Twitter. « De très nombreux sites sont bloqués en Iran, en particulier des sites tels que Facebook, Twitter ou YouTube, rappelle Maxime Pinard, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste en cyber-stratégie. En jouant sur le débit ou le référencement, les opérateurs incitent en outre les internautes à se rendre sur des sites exclusivement iraniens. Il est donc clair que la structure de l’internet en Iran continue d’être une structure de blocage, qui laisse parfois penser à une sorte d’intranet national. »
En acceptant de jouer avec les codes des réseaux sociaux et en allant plus loin, à ce petit jeu, que nombre de ses homologues, Hassan Rohani prend donc le risque de se voir reprocher les limites fixées à ses propres concitoyens sur le net. Et ce n’est autre que Jack Dorsey, le patron de Twitter, qui choisit de souligner le paradoxe, et d’interpeller sur ce sujet le dirigeant iranien. Le 1er octobre dernier, il lui adresse un message courtois, mais un rien perfide : « Bonsoir, M. le Président. Les citoyens d’Iran peuvent-ils lire vos tweets ? » Et la réponse n’a pas tardé, apparaissant comme il se doit sur le compte du président iranien, avec une référence à l’entretien accordé auparavant à la chaîne de télévision américaine CNN : « Mes efforts sont destinés à ce que mon peuple puisse avoir confortablement accès à l'information globale, comme il en a le droit ».
La réponse, ambiguë à souhait, peut vouloir dire tout et son contraire : que le président iranien envisage de libéraliser l’accès à internet dans son pays, ou bien qu’il va se contenter d’améliorer la vitesse de connexion (l’une de ses promesses de campagne) ou encore qu’il ne fera rien du tout. Pour Maxime Pinard, c’est cette dernière option qui devrait prévaloir : « Il n’est certes pas anodin de voir le président iranien s’exprimer en anglais sur un site américain, mais il ne s’agit pour l’instant que d’un galop d’essai : il ne faut pas s’attendre tout de suite à une évolution majeure pour la population iranienne sur l’accès aux réseaux sociaux. »
L'accès aux réseaux sociaux, une question de sécurité nationale
Et pour comprendre les réticences du régime iranien à libéraliser l’accès à ces réseaux il faut remonter au mouvement de contestation qui avait suivi, en juin 2009, la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad. Le « mouvement Vert » avait été marqué par l’utilisation massive d’internet pour mobiliser et pour médiatiser la contestation, une sorte de prélude, aux yeux de nombreux observateurs, au rôle qu’allait jouer internet, deux ans plus tard, lors du printemps arabe. Pour le régime iranien, l’accès à aux réseaux sociaux reste donc considéré comme une question de sécurité nationale. Et il y a peu de chances, en tout cas à court terme, de voir le président iranien s’adresser à ces concitoyens via Twitter, comme le lui suggère désormais le patron du réseau social.