François Géré: «Il faut un environnement international favorable pour que l'Iran renoue avec la prospérité»

«L’Iran ne représente absolument pas une menace pour le monde». Ces propos tenus hier par le président iranien Hassan Rohani à la tribune de l’ONU ne pouvaient pas passer inaperçus. Déclaration ouvertement adressée aux Etats-Unis, puisque le nouveau dirigeant de l’Iran invite les Américains à trouver un cadre dans lequel gérer les différences. François Géré, historien, directeur de l’Institut français d’analyses stratégiques, revient sur ces propos.

RFI : Est-ce que l’on peut dire que Hassan Rohani a réussi sa première grande sortie internationale ?

François Géré : Certainement. Le nouveau président iranien a bénéficié, évidemment, d’un effet de contraste par rapport à son prédécesseur. Ce dernier à chaque fois qu’il apparaissait, s’arrangeait pour prononcer des paroles qui variaient entre le médiocre et le désastreux.

Là, on a affaire à un diplomate de carrière, mais aussi un religieux qui a une grande capacité à manier l’argumentation et qui aujourd’hui donne de son pays une image, évidemment détendue, qui correspond d’ailleurs à la réalité sur le terrain. Ce que j’ai pu constater très récemment encore.

Alors ces déclarations ouvrent des portes, mais sans que l’on sache précisément vers quelle direction il souhaite engager son pays.

Il est bien évident que la tribune des Nations unies n’est pas un lieu de négociations. Elle est là pour déclarer des intentions, pour faire montre d’un esprit neuf, d’un esprit de bonne volonté. Après cela, tout reste à faire. C'est-à-dire qu’il faut entrer effectivement dans de véritables discussions, et là encore, on ne sait pas trop quel sera le format de ces discussions.

Officiellement, Mohammad Javad Zari,ministre des Affaires étrangères iranien, rencontre Madame Ashton en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, et ils devraient se mettre d’accord assez rapidement sur un calendrier de reprise des négociations entre l’Iran et ce que l’on appelle les « 3 + 3 » ou les « 5 + 1 », c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne.

Ce qui était resté au point mort va redémarrer. Reste à savoir sur quelles bases. Ce que veulent les Iraniens c’est une position de principe. L’Iran a le droit d’enrichir de l’uranium, sous contrôle, naturellement, de l’Agence internationale de l’Energie atomique de Vienne et dans le cadre du traité de non-prolifération dont il est signataire.

Et d’autre part, l’Iran est disposé à donner toutes les garanties permettant de s’assurer que son programme restera un programme strictement civil, moyennant quoi de l’autre côté l'Iran attend des propositions en matière de levée des sanctions et en matière de rétablissement d'une relation normale entre deux pays.

Justement, cette levée des sanctions, c’est aujourd’hui un combat prioritaire pour le nouveau dirigeant de l’Iran ?

Oui. Parce qu’après huit années de gestion économique désastreuse de l'ex-président Mahmoud Ahmadinejad, l’Iran est dans une situation très difficile sur le plan économique. Ce n’est pas la catastrophe, il y a encore un revenu issu des hydrocarbures qui permettra de tenir pendant de longues années. Mais les sanctions sont venues aggraver une très, très mauvaise gestion économique et aujourd’hui le pays a besoin de changement, a besoin d’un redressement économique. Il y a une immense demande, pas seulement des classes les plus défavorisées, mais surtout des classes moyennes, de toutes les composantes de la bourgeoisie iranienne qui veulent renouer avec la prospérité. Et pour ça naturellement, il faut un environnement international favorable.

Hier justement, le président français a vu le dirigeant iranien. Pas Barack Obama. Pourquoi ?

Le président français a voulu montrer très clairement qu’il prenait en compte le changement de président. Il a voulu aussi montrer une certaine forme de différence par rapport à ce qu’avait été la position très intransigeante de son prédécesseur le président Sarkozy. Il est évident qu’il pense qu’avec l’Iran il y a aujourd’hui une opportunité qui se présente. Il faut en discuter.

Il ne faudrait surtout pas rejeter Monsieur Rohani, comme on avait eu malheureusement tendance à le faire il y a huit ans avec le président Khatami. Donc, il veut jouer la carte d’une discussion à la fois sur le nucléaire, mais aussi sur la stabilité au Moyen-Orient. Ça veut dire également parler avec les Iraniens de la situation en Syrie.

Précisément, Hassan Rohani, lorsqu’il dit : «pas de solution violente aux crises du monde», c’est à la Syrie qu’il pense ?

Absolument, il n’y a pas le moindre doute. Mais il y a aussi une situation qui nous préoccupe beaucoup celle de la majorité chiite au Bahreïn, qui a été très mal traitée ces deux dernières années. Bref, il y a une volonté d’entrer dans un discours avec la France et avec tous ceux qui sont disposés. Je veux bien entendu parler de la poignée de main d'Obama avec  Rohani – je ne dirais pas qu’elle est sous contrôle du Congrès des Etats-Unis – mais faire un geste aussi énorme sur le plan symbolique, compte tenu de l’absence de toute relation diplomatique sérieuse depuis 1979, cela signifie que le président Obama ne peut pas prendre ce genre d’initiative sans avoir préalablement pris un grand nombre de précautions.

François Géré a signé aux Editions Karthala : « L’Iran, l’état de crise ».

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