RFI : Dans votre livre, vous expliquez finalement que ce qui se passe dans le pays n’est pas si étonnant, eu égard à l’histoire de la Syrie et aux épreuves traversées par les Syriens depuis un siècle.
Xavier Baron : Oui, depuis un siècle la Syrie vit dans le tumulte et n’a jamais réussi à trouver une vie politique apaisée. C’est passé par différentes phases. Il y a eu le mandat français et puis il y a eu une tentative de vie parlementaire, et puis l’arrivée au pouvoir du parti Bass. Et aujourd’hui encore, on voit bien que la convivialité, la cohésion, à l’intérieur des frontières syriennes actuelles n’arrivent pas à s’imposer.
Sur le terrain, malgré la prise de zones entières, les rebelles ne semblent pas être en mesure de s’organiser pour une vaste offensive. Est-ce que cela est lié à la division des insurgés : il y a l’ASL, des jihadistes, des groupes autonomes...
Oui, l’opposition a énormément de mal à s’unifier. Elle n’y parvient pas. Et il y a d’une part les politiques et puis les militaires. Sur le plan politique, il y a eu différentes institutions qui ont été créées et à chaque fois qui se sont rajoutées aux autres. Et puis on a vu que le président de la coalition qui avait été formé en novembre dernier au Qatar a démissionné. Et puis il y a eu un Premier ministre par intérim, enfin, provisoire, qui a été élu, ce qui a mécontenté le président de la coalition.
Il a jeté l’éponge à peine nommé…
Le président de la coalition oui, mais le Premier ministre provisoire, Ghassan Hitto, lui, est toujours là, mais l’Armée syrienne libre a dit ne pas le reconnaître. Et puis, Ghassan Hitto a un problème d’image. Aors que l’opposition voudrait depuis deux ans que ce soit une personnalité de l’intérieur, qui les représente et qui connaisse bien la Syrie, Ghassan Hitto est quasiment un Texan. Il a la nationalité américaine, c’est un ingénieur qui vit au Texas et qui est rentré seulement en Syrie il y a trois mois.
Donc, il y a un gros problème à l’intérieur de la coalition. Et sur le plan militaire, il y a l’Armée syrienne libre (ASL) qui est formée de déserteurs de l’armée syrienne que l’on pourrait qualifier de laïcs, si on veut, face aux groupes islamistes qui prennent de plus en plus d’ascendant et qui sont de plus en plus actifs. Et c’est un gros problème pour l’avenir de la Syrie.
Qu’est-ce qu’il faudrait pour les unifier ?
Il faudrait peut-être que la diplomatie occidentale notamment, s’en préoccupe et cherche à les convaincre. On a eu des réunions depuis deux ans, à grand renfort de publicité dans des hôtels à cinq étoiles. Ce n’est pas vraiment ça qu’il faudrait. Il faut arriver à convaincre l’opposition, arriver à les travailler pour qu’ils s’entendent et pour qu’ils adoptent un programme ! Parce que deux ans après le début du conflit, on ne connaît toujours pas le programme de l’opposition. Donc, là, il y a une défaillance qui est, évidemment, extrêmement nuisible à la rébellion.
Que pensez-vous de l’idée, de plus en plus pressante, d’armer réellement les rebelles ?
Je constate que le président Hollande a fait marche arrière, au cours de son intervention à la télévision. À mon sens, c’était une mauvaise idée. Parce que le problème, ce n’est pas d’ajouter des armes dans ce pays qui est déjà surarmé. On a vu ces derniers temps, et on commence à connaître et à découvrir petit à petit, l’étendue des envois d’armes dans ce pays.
On savait qu’il y avait l’Arabie Saoudite et le Qatar qui armaient les mouvements plutôt salafistes ou islamistes. Et on a vu, ces derniers temps, notamment dans la presse américaine avec le New York Times, que des milliers de tonnes d’armes sont venues de Croatie. Alors on ne sait pas exactement de quel type d’arme et si la Croatie n’était qu’un relais venant d’ailleurs, mais en tout cas, plusieurs milliers de tonnes d’armes sont arrivées en Jordanie et en Turquie, et notamment dans des vols sponsorisés par la CIA. Donc, le fait de dire que l’Occident n’arme pas la rébellion syrienne, il faudrait voir ça de très près.
Maintenant, les frontières avec la Jordanie sont de plus en plus ouvertes à la rébellion. On a vu ces derniers jours que dans le sud de la Syrie, qui était jusqu’à présent plus ou moins calme sur le plan militaire, les rebelles ont pris toute une bande de terrain qui est frontalière avec la Jordanie, et problème plus délicat encore, qui jouxte le Golan, qui est occupé par les Israéliens. Donc là, c’est encore un foyer ou un risque de déstabilisation ou de conflit qui s’est révélé ces derniers temps.
Bachar el-Assad, lui aussi reste déterminé à ne rien lâcher. Pour autant, il n’arrive pas à vaincre ceux qu’il nomme «les terroristes». Comment, selon vous, peut-il s’en sortir ?
À long terme, il a peu de chances de s’en sortir. Mais j’entends, il a peu de chances de s’en sortir pour re-gouverner à nouveau une Syrie dans ses frontières actuelles. Maintenant, ça peut durer encore très longtemps, puisque les Russes ne sont pas prêts à le lâcher, les Iraniens non plus. Et l’Irak a une position très ambiguë sur la question.
Il a encore une armée, quand on considère les forces les plus opérationnelles, quasiment intacte. Donc il peut encore tenir. Il tient le cœur utile du pays, c'est-à-dire l’axe Damas-Alep, avec les grandes villes, où bien évidemment, il y a des combats, mais enfin, c’est toujours tenu, grosso modo, par le gouvernement. Et il lui reste, évidemment, la région alaouite vers laquelle il pourrait se replier en cas d’urgence. Sa région d’origine. Ce qui signifierait que la Syrie éclaterait. Ce qui est un des risques.