La déclaration consiste en sept articles qui, selon le président égyptien, sont censés protéger la révolution et placer l'Egypte sur la voie de la démocratie. Mais pour l'opposition, Morsi a franchi une nouvelle étape, car, en plus des pouvoirs exécutifs et législatifs qu'il cumulait déjà depuis août 2012, lorsque l'Assemblée a été invalidée par la justice puis dissoute, il s'est désormais arrogé en plus le pouvoir judiciaire, en limogeant le procureur général - qui certes avait été placé là par l'ancien régime - et en nommant son successeur, ce qui jusqu'à présent était du ressort du judiciaire. Mais il a surtout interdit à la justice d’interférer dans les institutions, pour « protéger la révolution ».
Des éléments positifs et négatifs dans la déclaration constitutionnelle
Le premier article devait être plutôt bien accueilli, puisqu'il consiste à rouvrir les procès des responsables des violences entre janvier et février 2011 où 850 personnes avaient été tuées – dont celui de Hosni Moubarak. Il faut rappeler que le procureur général, Abdel Meguid Mahmoud, que Mohamed Morsi vient de limoger (et qu’il avait déjà essayé de démettre de ses fonctions), représentait encore l'ancien régime. Il était très controversé car il avait acquitté les principaux responsables de ces meurtres, ce qui avait provoqué un tollé. Beaucoup se réjouissent que cet ancien de l'ère Moubarak ait été démis de ses fonctions, mais le président égyptien a outrepassé ses pouvoirs en le faisant de cette façon.
Mais ce premier article a pratiquement été occulté par les suivants qui stipulent qu'en attendant la nouvelle Constitution, donc en février prochain, toutes les déclarations, les lois et les décrets depuis sa prise de fonctions du président le 30 juin dernier « sont définitifs et ne sont sujet à aucun appel ». Or, plusieurs dizaines de recours ont été déposés, notamment pour contester la légalité de l'Assemblée constituante. Comme le souligne Sophie Pommier, directrice du cabinet de consultant Méroué, spécialiste du monde arabe, « le pouvoir judiciaire n’a plus capacité à invalider le comité constituant qui rédige actuellement la Constitution, alors qu’il y avait une procédure en cours auprès de la Haute Cour constitutionnelle, donc cette procédure de fait est stoppée ».
Plus aucun recours possible devant la justice
Le texte de la future Constitution en cours de rédaction est très contesté par l'opposition, et cette déclaration constitutionnelle empêche désormais tout recours. L’Assemblée constituante est composée de cent membres, dont la majorité est issue des Frères musulmans et des salafistes. Elle est censée préparer un texte soumis à référendum, mais elle est très critiquée par les libéraux, les laïques et l'église chrétienne copte qui ont décidé de la boycotter, car ils estiment que le texte donne une trop large part aux idées à dominante islamiste. Ils ont déposé un recours devant la Haute Cour constitutionnelle.
Mais désormais, selon les articles de la déclaration de Mohamed Morsi, la justice ne peut plus invalider l'Assemblée constituante. Il a également prolongé de deux mois les travaux de cette assemblée.
C'est la petite phrase de l'article six qui résume le mieux la démarche de Mohamed Morsi : « Le président pourra prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le pays et les objectifs de la révolution ». Une phrase sujette à une large interprétation et qui, selon l'opposition, constitue une loi sur l'état d'urgence déguisée.
Colère de l’opposition, soutien des partisans de Morsi
Ce vendredi, l'opposition laïque, libérale et socialiste manifestait son mécontentement en différents cortèges qui ont convergé place Tahrir. De leur côté, les partisans de Mohamed Morsi manifestaient leur soutien devant la présidence, au nord du Caire, où le président Morsi a pris la parole. Il a justifié sa déclaration constitutionnelle dans un discours d'unité nationale. Il a voulu rassurer l'opposition en lui garantissant ses droits à la liberté d'expression.
Selon lui, les décrets qu'il a publiés ne sont qu'une nécessité dans la droite ligne des objectifs de la révolution, pour écarter du chemin tous les obstacles et donc les vestiges de l'ancien régime. C'est ainsi qu'il justifie le limogeage du procureur général.
Mais de fait, en s'arrogeant le judiciaire, il cumule plus de pouvoirs que n'en avait le dictateur déchu Hosni Moubarak. Comme le rappelle Sophie Pommier, « même sous l’époque de Moubarak, le pouvoir judiciaire avait capacité à invalider les décisions du président, cela avait été fait à plusieurs reprises, mais là il soumet le pouvoir judiciaire. Il y a aussi une sorte de jeu assez pervers qui consiste à se draper dans la légitimité révolutionnaire à accuser les contestataires d’être eux-mêmes des contre-révolutionnaires. Un jeu de pirouette qui tend à discréditer la contestation et le camp des révolutionnaires. »
L'opposition l'accuse de se comporter en un nouveau dictateur, un nouveau « pharaon », et de confisquer les acquis de la révolution.
Division de la société égyptienne, inquiétude des chancelleries occidentales
Certains ont peur que cette situation ne crée une division de plus en plus nette au sein de la société égyptienne, dans un pays déjà très polarisé, avec des affrontements entre les deux camps.
Les réactions internationales sont embarrassées, notamment celle des Etats-Unis, qui se félicitaient mercredi de l'attitude de l'Egypte lors de la crise de Gaza et qui ont un temps semblés abasourdis par l’annonce faite par Mohamed Morsi. Dans la soirée de vendredi, le département d'État américain est sorti de son mutisme, soulignant que les décisions de Mohamed Morsi « suscitait des inquiétudes pour beaucoup d'Egyptiens et pour la communauté internationale » et appelant les différentes parties à résoudre leurs différends « pacifiquement et par le dialogue démocratique ». Washington rappelle aussi qu'une « des aspirations de la révolution était de s'assurer que le pouvoir ne serait pas trop concentré entre les mains d'une seule personne » et recommande l'adoption d'une « constitution qui comporte des contre-pouvoirs ».
L’Union européenne a appelé Mohamed Morsi à respecter le processus démocratique « dans le respect des engagements » qui avaient été pris. Selon la Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Navi Pillay, le décret du président Morsi soulève de « très graves questions ». Elle s'est dite inquiète de « l’instabilité de la situation dans les jours qui viennent ».