A peine les funérailles du général Wissam al-Hassan, tué dans un attentat à la voiture piégée vendredi 19 octobre, étaient-elles terminées, qu'une foule en colère s'est dirigée vers les bureaux du Premier ministre Najib Mikati, situés 500 mètres plus loin.
Les manifestants ont été entraînés par un cheikh sunnite, Oussama Rifaï, qui a pratiquement arraché le microphone des mains du principal orateur, le modéré mufti du Liban-Nord, cheikh Malek al-Chaar, pour lancer une violente diatribe contre le Premier ministre libanais, la Syrie et le Hezbollah.
Des groupes de jeunes, armés de bâtons, de barres de fer et de bouteilles vides ont attaqué les forces de l'ordre chargées de protéger le Grand Sérail, où sont situés les bureaux de Najib Mikati. Les manifestants ont réussi à forcer le premier cordon de sécurité et sont arrivés à quelques mètres de l'entrée principale de cette imposante bâtisse, datant de l'empire ottoman.
Ce cortège était formé d'un cocktail improbable, composé d'islamistes fondamentalistes, d'éléments des partis chrétiens membres de la coalition anti-syrienne du 14-Mars, et de militants du Courant du futur, dirigé par le chef de l'opposition, l'ancien Premier ministre Saad Hariri.
« Mikati, il faut que tu partes »
Passé le premier moment de surprise, les forces de l'ordre ont réussi à repousser les manifestants à coups de gaz lacrymogènes et de rafales d'armes automatiques tirées en l'air. L'armée libanaise a ensuite envoyé des unités d'élite en renfort, permettant aux forces de l'ordre de reprendre l'initiative.
Devant la gravité de la situation, Saad Hariri - qui se trouve en dehors du Liban depuis un an et demi -, a appelé ses partisans, dans un message diffusé par les télévisions du pays, à se « retirer immédiatement de la rue ». Il s'est résolument opposé à toute attaque contre le Grand Sérail, affirmant qu'il enverrait sa garde personnelle « pour protéger ce haut-lieu de la légalité libanaise ».
Quelques minutes plus tard, l'ancien Premier ministre Fouad Siniora est apparu sur les écrans de télévision pour appeler, lui aussi, au calme. « Il est inadmissible que le Grand Sérail, qui est une institution de l'Etat libanais, soit pris pour cible, a dit ce proche de M. Hariri. Vous devez tous sortir des rues et cesser les actes de violence. Allez plutôt vous recueillir sur la tombe de Wissan al-Hassan. » Joignant l'acte à la parole, il s'est lui-même rendu devant le tombeau du père de Saad Hariri, Rafic, au côté duquel Wissam al-Hassan avait été inhumé deux heures plus tôt.
Pourtant, M. Siniora avait chauffé à blanc quelques instants auparavant les participants aux funérailles, lesquelles s'étaient transformées en grande manifestation anti-syrienne réclamant la chute du gouvernement Mikati au sein duquel siège le Hezbollah. « Le gouvernement est responsable du crime qui a tué Wissam. C'est pourquoi il faut qu'il parte, a-t-il lancé devant des milliers de personnes. Mikati, tu ne peux plus rester à ton poste pour couvrir ce crime. Si tu restes, ça veux dire que tu es d'accord avec ce qu'il s'est passé et avec ce qu'il se passera. »
Après les interventions télévisées de MM. Siniora et Hariri, le calme est progressivement revenu, le nombre de manifestants a baissé et la violence a cessé. L'armée a envoyé de nouveaux renforts pour sécuriser le secteur.
L'Occident craint le chaos
La forte tension palpable depuis l'attentat contre Wissam al-Hassan laissait présager de graves incidents. L'opposition a clairement voulu mettre à profit la colère provoquée par l'assassinat de ce super-policier, très anti-syrien, pour faire tomber le gouvernement, qu'elle accuse d'être contrôlé par la Syrie et son allié libanais, le Hezbollah.
Mais Najib Mikati, une personnalité politique centriste respectée, a résisté à la première vague de pressions en annonçant qu'il restait au pouvoir dans l'intérêt national. En fait, le gouvernement libanais bénéficie d'une forte couverture de la part de Washington, des Etats européens influents, et des pays arabes du Golfe. Les ambassadeurs des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni à Beyrouth ont ouvertement appelé à la solidarité et à l'unité entre les Libanais, invitant le gouvernement à assumer ses responsabilités. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a adopté la même position.
Tous ces pays craignent le vide au niveau du pouvoir exécutif en cas de chute du gouvernement et le chaos qui en résulterait. D'ailleurs, un député du Hezbollah, Hassan Fadlallah, a exprimé ses craintes de ne pouvoir former un nouveau gouvernement en cas de chute de Najib Mikati.
Grandes funérailles
Une foule nombreuse, venue de toutes les régions libanaises, s'était rassemblée dans l'après-midi près de la Grande Mosquée de Beyrouth pour participer aux funérailles du général al-Hassan. Les manifestants brandissaient les couleurs du Liban, mais aussi des drapeaux saoudiens ou de l'opposition syrienne. Des banderoles ciblaient le président syrien Bachar el-Assad, qualifié de criminel et de boucher. D'autres étaient adressées à Najib Mikati, l'invitant à « dégager ».
Des obsèques officielles avaient auparavant été organisées dans une caserne de la police, en présence du président de la République. Dans une allocution, Michel Sleiman a estimé que cet assassinat « vise l’Etat libanais et c’est pour cela que toutes les institutions sécuritaires, politiques et judiciaires doivent s’unir pour la sauvegarde du Liban ».
Le chef de l'Etat a appelé la justice libanaise à rendre public l'acte d'accusation dans le dossier de l'ancien ministre pro-syrien Michel Samaha, arrêté le 9 août par Wissam al-Hassan, et accusé « d'avoir préparé des attentats au Liban pour le compte de la Syrie ».
En établissant un lien entre l'arrestation de Michel Samaha et l'assassinat de Wissam al-Hassan, le président de la République accuse indirectement la Syrie d'être responsable de l'attentat d'Achrafieh.