Devant les bureaux de vote, de longues files d’attente se sont formées, mercredi, à travers le pays. Les Egyptiens ont jusqu’à ce jeudi soir pour choisir entre les onze candidats toujours en lice pour le poste présidentiel.
Quatre d’entre eux semblent se détacher, dont Mohamed Morsi, le candidat du parti Liberté et justice, porté par les Frères musulmans. Mais si les Frères musulmans s’étaient largement imposés lors des élections législatives fin 2011, avec 47% des votes, leur cote de popularité semble maintenant en berne.
En cause, le manque de charisme de Mohamed Morsi, choisi pour remplacer à la dernière minute Khairat al-Chater, le numéro deux de la confrérie, dont la candidature avait été disqualifiée en avril par la Commission électorale. Ce dernier, prisonnier politique sous le régime de Hosni Moubarak, n’avait pas le droit, selon la loi égyptienne, de briguer la plus haute fonction de l’Etat.
Des résultats difficiles à prédire
Face à Mohamed Morsi, Abdel Moneim Aboul Foutouh, un ancien dissident des Frères musulmans, a vu sa popularité grimper ces dernières semaines, avec un discours fédérateur, prônant un islamisme « moderne » qui lui a permis d’obtenir le soutien des libéraux.
Deux autres candidats laïcs se détachent également : Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak, et Ahmed Chafik, son dernier Premier ministre, vus comme des remparts face aux Frères musulmans, mais dont la proximité avec l’ancien régime suscite les critiques.
Dans cette configuration, et alors que les sondages restent peu fiables, il était difficile ce jeudi de savoir qui s’imposera au second tour. « Il serait caricatural d’opposer les laïcs et les islamistes. Il y a des laïcs qui vont soutenir la candidature de Abdel Moneim Aboul Foutouh, un dissident des Frères, mais un candidat qu'on peut quand même qualifier d'islamiste », explique Sophie Pommier, enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris, spécialiste de l’Egypte.
Une pauvreté endémique
Le futur président, quel qu’il soit, aura un défi important à relever. Car la pauvreté est endémique, et nombre d’Egyptiens n’ont toujours pas accès à l’eau et à l’électricité. « Je me fiche complètement que ce soit Amr Moussa, ou Chafiq, ou Morsi, mais je veux quelqu’un qui nous soutienne: les jeunes n’ont pas de travail, il y a beaucoup de pauvreté, les salaires sont très bas, on n’arrive pas à vivre correctement ni à manger » commente Nahila, une mère de famille qui habite le quartier pauvre et pollué de Helwan, au sud du Caire.
L’instabilité politique aggrave la situation, inquiétant les bailleurs de fonds étrangers. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) a négocié un prêt de 3,2 milliards de dollars pour l’Egypte, mais l'accord ne devrait pas être signé avant l'issue des élections présidentielles et le transfert du pouvoir par l'armée.
A cela, s’ajoutent les tensions internes qui divisent le pays. Depuis un an, la répression des manifestants a fait des centaines de morts. Pour Hesham Youssef, le directeur de campagne de Amr Moussa, une réconciliation nationale sera nécessaire. « Les révolutionnaires se sont battus contre les islamistes, qui ont combattu les libéraux. Je pense qu'on a besoin de temps pour guérir », affirme-t-il.
L’armée doit quitter le pouvoir
Pour l'instant, on ignore quels seront les pouvoirs du futur président. Car la commission chargée de rédiger la future Constitution, dominée par les islamistes et boycottée par les libéraux, a en effet été suspendue il y a quelques semaines. Le Conseil suprême des forces armées a néanmoins déclaré qu’il laisserait le pouvoir le 1er juillet. Mais la transition pourrait être difficile, alors qu'elle contrôle des terres et des industries.
« L'armée était très marginalisée à la fin de la période Moubarak, elle voyait d'un mauvais œil une éventuelle succession dynastique. Et donc pour elle, le mouvement révolutionnaire a constitué une aubaine. Maintenant, elle sait qu'elle a tout intérêt, pour préserver son capital de sympathie, à retourner à l’arrière-plan. Mais elle ne le fera que si ses intérêts sont garantis. L’armée veut le maintien de ses intérêts économiques. Les militaires vont chercher à trouver un système entre l'exécutif et le législatif qui continue de les poser en arbitre, et ne les menace pas directement », analyse la chercheuse Sophie Pommier.
Les résultats devraient être connus ce samedi. En l’absence de majorité absolue, un second tour sera organisé les 16 et 17 juin.