Un an après le «printemps arabe», l’Egypte élit son nouveau président

Gouvernée par les militaires depuis la chute d’Hosni Moubarak le 11 février 2011, l’Egypte va choisir son nouveau président lors d’une élection au suffrage universel dont le premier tour est programmé mercredi 23 et jeudi 24 mai. La victoire devrait se jouer entre quatre candidats : Amr Moussa, Ahmed Chafik, Abdel Moneim Aboul Foutouh et Mohammed Morsi, soit deux anciens ministres de Moubarak et deux anciens opposants issus des Frères musulmans.

Douze. Ils partirent vingt-trois mais ne sont plus que douze à se présenter au suffrage des 52 millions d’Egyptiens inscrits sur les listes électorales pour la présidentielle qui va se dérouler ces mercredi 23 et jeudi 24 mai, sous les yeux de près de 10 000 observateurs nationaux et internationaux, dont l’ancien président américain Jimmy Carter. Après l’annulation par la Commission électorale de dix candidatures fin avril, le salafiste Abdallah al-Ashaal n’a pas voulu faire le treizième et s’est désisté dimanche 13 mai au profit de Mohammed Morsi, le candidat officiel des Frères musulmans qui fait partie des favoris à l’investiture suprême.

Trois présidents en 58 ans

Depuis 1953 et le court mandat du général Mohammed Naguib, la République d’Egypte n’a connu que trois présidents : Gamal Abdel Nasser (1954-1970), Anouar el-Sadate (1970-1981) et Hosni Moubarak (1981-2011), trois hommes à poigne, tous trois issus de l’armée, qui ont imprimé leur marque, pour le meilleur et pour le pire, sur ce pays peuplé désormais de 83 millions d’habitants et qui aspire à demeurer le phare du monde arabe et reste, malgré les troubles récents, la quatrième économie d’Afrique.

Depuis la chute de Moubarak, emporté par la révolution de la colère le 11 février 2011, le poste de « raïs » est vacant. C’est le maréchal Hussein Tantaoui qui fait office de chef de l’Etat par intérim, un dirigeant impopulaire car, même si elle a toujours voulu se poser en garante du processus démocratique, son armée a eu la main très lourde avec les manifestants avant et après la chute de l’ancien régime (12 000 arrestations, plus de 1 000 morts et 9 000 blessés).

En janvier dernier, les élections législatives ont débouché sur une large victoire des partis islamistes, lesquels détiennent les deux tiers des 498 sièges qui composent l’Assemblée : 222 pour les Frères musulmans (44,6%) et 112 pour les salafistes du Parti de la lumière (22,5%). Si le score des partis religieux aux législatives est impressionnant, il ne préfigure pas obligatoirement le résultat de cette présidentielle 2012. Et comme, à une semaine du scrutin, plus d’un tiers des électeurs déclarait ne pas encore avoir fait son choix, la plus grande incertitude demeure quant à l’identité du futur chef de l'État.

Un débat historique

Fait inimaginable il y a encore quelques mois, Amr Moussa et Abdel Moneim Aboul Foutouh, les deux candidats supposés faire le meilleur score au premier tour, ont débattu en direct durant quatre heures à la télévision le 10 mai dernier, un affrontement retransmis par deux chaînes privées qui a été largement suivi, non seulement dans tout le pays mais également dans une bonne partie du monde arabe.

Secrétaire général de la Ligue arabe durant dix ans, après avoir été ministre des Affaires étrangères de Moubarak de 1991 à 2001, Amr Moussa se pose en homme d’État et d’expérience qui sera à la hauteur de la tâche et n’est pas directement lié aux islamistes. Néanmoins, son âge (76 ans en octobre) ainsi que ses liens avec l’ancien régime sont des obstacles qui donnent des arguments à ses adversaires et ne déclenchent pas l’enthousiasme chez la jeune génération, instigatrice de la révolte.

Figure historique des Frères musulmans, Abdel Moneim Aboul Foutouh jouit au contraire de la légitimité d’avoir été persécuté en tant qu’opposant de longue date du régime Moubarak. S’il a dû quitter la confrérie l’an dernier pour s’être déclaré trop tôt candidat à la présidentielle, son aura reste grande au sein d’une population pour qui ce mouvement islamiste fondé en 1928 demeure un repère fort dans le paysage politique de l’après-révolution. Et comme il a su habilement mener campagne, l’ancien leader de la confrérie s’avère un postulant sérieux à la présidence, briguant à la fois les voix des salafistes et des libéraux.

Frères ennemis ?

Foutouh devra néanmoins composer avec Mohammed Morsi, le candidat officiel des Frères musulmans qui a le même âge que lui (61 ans) mais pas le même charisme. Cet homme de l’ombre doit son investiture au retrait de Khairat el-Shater, le numéro 2 de la confrérie, forcé de renoncer à se présenter par la Commission électorale en raison d’une loi qui stipule qu’un candidat doit avoir été libéré de prison au minimum six ans avant l’élection. Or, el-Shater n’a quitté les geôles de l’ancien régime qu’en mars 2011. Un moment distancé dans la course, Morsi a regagné du terrain grâce au soutien logistique et financier de son puissant mouvement. C’est d’ailleurs lui qui est arrivé en tête des suffrages chez les Egyptiens de l’étranger, dont le vote a été communiqué lundi 21 mai.

De l’autre côté de l’échiquier politique, Ahmed Chafik (71 ans) estime également avoir ses chances. Comme Amr Moussa, il est issu de l’ancien régime et possède l’expérience du pouvoir en tant qu’ancien ministre de l’Aviation civile et ancien chef d’état-major. Au cœur de la tourmente révolutionnaire, il a même occupé brièvement le poste de Premier ministre entre le 29 janvier et le 3 mars 2011 avant de devoir présenter sa démission au Conseil supérieur des forces armées du maréchal Tantaoui. Un moment écarté de la présidentielle, en vertu d’une loi qui privait de leurs droits politiques les responsables du régime Moubarak pendant dix ans, il a été réintégré in extremis grâce à une procédure juridique, preuve qu’il sait encore manœuvrer dans les arcanes du pouvoir.

Les réformistes en minorité

Derrière ce quatuor de favoris – Moussa, Foutouh, Morsi, Chafik – quatre candidats se posent en garants de l’élan révolutionnaire. D'abord le nationaliste Hamdine Sabahi (58 ans), le leader du Parti de la dignité qui se réclame du nassérisme. Ensuite, Khaled Ali, le plus jeune des douze prétendants (45 ans), qui jouit d’une grande popularité dans les milieux étudiants et au sein de la gauche égyptienne. A classer également dans le camp des réformistes : Aboul Ezz al-Hariri, un député de l’Alliance populaire socialiste et Hicham el-Bastawassi (61 ans), un ancien vice-président de la Cour de cassation égyptienne qui a fait de la lutte contre la corruption le combat de sa vie. Pour diverses raisons, aucun des quatre ne semble en mesure de créer la surprise et de s'inviter au second tour.

Au cas où aucun des douze candidats n’obtiendrait la majorité jeudi 24 mai, hypothèse probable, un second tour de scrutin sera organisé les 16 et 17 juin. Prudent, le Premier ministre en place, Kamal al-Ganzouri, a lancé un appel au calme à la veille de ce vote que chacun sait historique. A l’issue du scrutin, l'armée devra en effet rendre le pouvoir aux civils avant le 30 juin et permettre ainsi au pays d’entrer dans une nouvelle ère. Reste à savoir si le vainqueur de l'élection saura garder intact l'esprit égalitaire et démocratique insufflé par le « printemps arabe » de 2011.

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