RFI : Gilles Jacquier est entré en Syrie avec un visa. Est-il plus facile d'entrer dans le pays ces derniers temps en tant que journaliste ?
Mani : Non, ce sont juste deux manières différentes de travailler. Gilles Jacquier avait l’autorisation du gouvernement syrien, donc il était encadré par des agents du gouvernement syrien. J’ai souhaité travailler autrement pour avoir accès aux membres de l’opposition. Je devais être beaucoup plus discret pour que le gouvernement ne soit pas au courant de ma présence. Les autorités permettent à certains journalistes de venir travailler dans le pays, mais de manière très encadrée. A l’époque où je travaillais, il y avait une personne de la BBC mais toujours amenée à se déplacer avec des agents du ministère qui la suivaient partout. Donc pour pouvoir accéder aux lieux où la contestation est forte, à l’armée libre, c’est impossible.
RFI : Quelles précautions avez-vous pris sur place pour travailler ?
M : Elles sont assez nombreuses. Il y a des précautions au niveau des télécommunications. Sur internet, il faut faire en sorte que tout soit crypté. Quand on prend rendez-vous avec un activiste, il faut faire en sorte que l’on ne puisse pas être repéré par les services de renseignements pour ne pas se mettre en danger et ne pas mettre en danger les personnes avec qui on travaille. Lorsque l’on est dans les quartiers où la contestation est très forte, il faut faire en sorte que les autorités ne puissent pas savoir qui on est. Donc je travaillais toujours avec le visage masqué. Quand je prenais des photos, j’étais dissimulé comme le font d’ailleurs les activistes qui prennent des vidéos des manifestations. Lors des déplacements également, on peut se faire arrêter sur un barrage et il faut donc avoir une grande connaissance du terrain pour savoir où se trouvent ces barrages. D’où la nécessité d’être accompagné d’activistes. Il faut prendre en compte aussi le fait qu’il puisse y avoir des barrages volants, imprévisibles par définition. Donc s’assurer que quelqu’un a déjà utilisé le même itinéraire pour être certain que la voie est libre. Je faisais en sorte de changer de lieu très souvent pour que l’on ne vienne pas m’arrêter la nuit. Je donnais un minimum d’informations à mes interlocuteurs. Même aux gens que je côtoyais car les infiltrations sont possibles. Et aussi parce que les gens parfois parlent sans se rendre compte qu’ils peuvent se mettre en danger et mettre en danger les autres. Je ne donnais donc ni mon identité réelle, ni ma nationalité.
RFI : Avez-vous vécu des situations particulièrement dangereuses ?
M : Lorsque l'on est présent lors des manifestations pacifiques, il y a régulièrement des attaques. Des tirs de kalachnikov, des tirs de batteries anti-aériennes. Il y a des attaques à la bombe à clous qu’ils envoient sur les civils. Lorsqu’on est en présence de soldats de l’armée libre, on est en compagnie de personnes qui sont engagées dans un combat militaire et c’est forcément très dangereux.
RFI : Comment se comportaient les opposants, vis-à-vis de vous, journaliste ?
C’est grâce à eux que mon reportage a pu voir le jour. Sans leur collaboration, rien n’est possible. Ils nous font confiance, ce qui n’est pas forcément évident, je tiens à le préciser, car ils ont toutes les raisons d’être suspicieux. Ce sont eux qui m’ont guidé sur place. Ce sont eux qui m’ont abrité.
RFI : Quel souvenir gardez-vous de ces jours de reportage en Syrie ?
M : Le courage de la population civile sur place et un certain désespoir aussi. Mais un grand courage car j’ai pu être témoin d’un grand nombre d’exactions, de beaucoup de crimes commis contre les civils, dans cette ville de Homs tout particulièrement. Et les gens continuent à manifester quotidiennement pour dire leur volonté de changement.