Pour cette deuxième étape, sont appelés aux urnes les électeurs de Gizeh (à l’ouest du Caire, de l'autre côté du Nil), de Beni Soueif (au sud du Caire), d’Ismaïlia, de Suez, à l'est de la capitale, ou encore d’Assouan en Haute-Egypte. Le mode de scrutin est très complexe, un tiers du Parlement est désigné au scrutin majoritaire à deux tours, avec des listes de candidats, et les deux tiers sont élus à la proportionnelle sur des listes de partis.
La tendance de plus de 60% pour les partis islamistes, Frères musulmans et salafistes, démontrée lors de la première phase, devrait se confirmer, avec quelques nuances selon l’analyse de Sophie Pommier, qui dirige le cabinet de conseil Méroé sur le monde arabe. « On devrait retrouver les mêmes tendances lourdes, avec peut-être quelques bémols. En Haute-Egypte notamment, une des expressions de la mouvance salafiste qui est le parti créé par les Gamaat Islamiya, les anciens mouvements jihadistes des années 1990, est très influente encore en Haute-Egypte, ce qui devrait alimenter le vote salafiste (avec le parti al-Nour –« La Lumière »), et à ce titre les coptes pourraient se mobiliser davantage pour aller voter. Et puis des anciens du PND (Parti national démocratique –ex-parti au pouvoir sous l’ère Moubarak) qui sont des notables influents dans la région, pourraient obtenir plus de voix (contrairement à la débâcle observée lors de la première phase). Mais globalement, il n’y aura pas de retournement de situation ». Selon Sophie Pommier, la tendance lourde du vote islamiste majoritaire devrait donc se confirmer.
Le Parti liberté et justice des Frères musulmans, toujours grand favori
Le Parti liberté et justice (PLJ) créé par les Frères musulmans après la révolution de janvier, mise sur trois points principaux : la justice sociale, la lutte contre la corruption et le départ des militaires du pouvoir. Leur force est d'être le parti le plus ancien (créé en 1928) et le mieux organisé. Azab Mustafa Morsi, vice-secrétaire général du mouvement des Frères musulmans, se présente en tête de liste pour le Parti liberté et justice dans une des localités les plus peuplées, Gizeh Sud, dont les électeurs sont appelés à voter ce mercredi et jeudi. Il travaille depuis des années sur des projets sociaux dans sa région, et son message est simple. « Dans ma circonscription, nous avons 40% de familles pauvres. Donc depuis 10 ans, je travaille essentiellement à la lutte contre la pauvreté. On a mis en place une banque pour les pauvres, on aide aussi les gens sur des micro-projets, pour qu'ils puissent avoir un petit revenu, et puis on doit aussi lutter contre un autre fléau, le chômage. Un autre problème, ce sont les classes surchargées dans les écoles, avec entre 60 et 70 élèves par classe, et puis l’accès à l’eau potable dans de nombreux quartiers et dans les villages ».
Les révolutionnaires et les partis libéraux, grands perdants des élections
Les partis libéraux et surtout les jeunes de la révolution sont les grands perdants de ces élections parlementaires. La vague de violence qu’ont subi les jeunes révolutionnaires juste avant la première phase en novembre dernier, et qui a coûté la vie à plus de 40 d’entre eux, n’a pas suscité davantage de soutien à leurs formations, d’autant qu’une partie avait appelé à boycotter le scrutin et au départ immédiat du Conseil supérieur des forces armées. Les électeurs, dont la grande majorité veut que l’Egypte regagne une stabilité politique et économique, sont allés voter en grand nombre (le taux de participation a été évalué à 52%).
La coalition des révolutionnaires aurait réalisé environ 3% des suffrages lors de la première phase et celle des libéraux près de 20%. Mais ils ne se sont pas suffisamment structurés pour réaliser la percée qu’ils escomptaient. C'est ce que constate amèrement Abdel Megid el-Mehelmy, membre fondateur du parti Front démocratique. Selon lui, ces coalitions n’ont pas pu rivaliser à armes égales face aux moyens utilisés par les partis islamistes, et ils n’ont pas su conquérir les couches les plus défavorisées de la population qui compte 40% d'illettrés. « Le problème, c’est qu’on a le cercle des intellectuels qui se parlent entre eux, ils ont très peu d’engagements avec les Egyptiens qui vivent dans les quartiers populaires. Et puis les Frères musulmans et les salafistes eux, utilisent les mosquées comme plateforme pour parler aux pauvres. Nous avons demandé que cette pratique soit interdite, car les mosquées sont faites pour prier et non pas pour diffuser des messages politiques ».
Le vote salafiste, une nouveauté contraignante pour les Frères musulmans
Les Frères musulmans sont indubitablement les grands gagnants de ces élections, et cette tendance devrait se confirmer lors de la seconde phase. Mais la percée des salafistes a surpris tout le monde, en premier lieu, le régime en place, mais également le Parti liberté et justice. Beaucoup de leurs électeurs potentiels se sont en effet lassés du double discours des Frères musulmans qui veulent plaire à tout le monde et qui ont édulcoré leur message. En outre, de nombreux Egyptiens émigrés dans les pays du Golfe et en Arabie Saoudite ont pu être influencés par le wahhabisme, la tendance la plus rigoriste de l'islam.
Les salafistes ont aussi bénéficié de financements de cette région, et puis, l'ancien pouvoir d'une certaine façon leur a facilité la tâche, comme l'explique Sophie Pommier. « En théorie, ce courant salafiste s’interdit de rentrer en politique. Donc, dans l’esprit des autorités, jusqu’aux événements de janvier dernier, les salafistes ne représentaient pas un danger. Par rapport aux Frères musulmans, ils avaient l’énorme avantage de ne pas rentrer en politique, et même d’être extrêmement légalistes, à tel point qu’en 2006, le gouvernement égyptien les avait autorisés à créer des chaînes de télévision qui se sont révélées très influentes -qui accueillaient des prédicateurs qui développaient toute la pensée salafiste- des chaînes de télévision qui avaient une forte audience. Donc on leur a donné les moyens, dans leurs prêches dans les mosquées, sur ces chaînes satellitaires, de développer leurs théories. La surprise a été pour le régime, que confrontés à une opportunité unique avec ce mouvement révolutionnaire, les salafistes se sont fait en quelques sortes violence à eux-mêmes et ont décidé de rentrer en politique ».
Interrogations sur les futures alliances
La question cruciale sera de savoir si, à l'issue de la troisième phase le 3 janvier, les Frères musulmans choisiront de s'allier aux libéraux, pour rassurer les investisseurs et la communauté internationale, ou aux salafistes, pour regagner la frange la plus conservatrice de leur électorat. L’autre question bien sûr est celle du futur rôle de l’armée dans cette configuration d’un nouveau Parlement qui devrait être en charge de nommer une commission pour rédiger la future Constitution.
Les jeunes révolutionnaires, qui ont le sentiment de s’être fait « voler leur révolution » pourraient être davantage stigmatisés, notamment dans leur lutte contre l’impunité des forces de sécurité, plusieurs d’entre eux sont toujours incarcérés. Les résultats globaux de ces élections parlementaires devraient être promulgués le 13 janvier prochain.