Après dix mois de manifestations et de répression qui ont fait plusieurs centaines de morts, le président du Yémen Ali Abdallah Saleh, a finalement accepté de lâcher les rênes du pouvoir qu’il détient depuis 33 ans. Par trois fois avortée, la signature d’un accord a eu lieu mercredi 23 novembre à Riyad en Arabie Saoudite. Il faut dire que le chef de l’Etat yéménite a obtenu des garanties pour une sortie honorable.
Il a négocié l’immunité pour lui et sa famille, alors que ses opposants le juge responsable des exactions commises depuis le début du mouvement de contestation fin janvier. Blessé au cours d’une tentative d’attentat manqué en juin dernier, il pourra également bénéficier d’un traitement médical à New York aux Etats-Unis.
L’accord de sortie de crise signé par le président Saleh prévoit qu’il quittera définitivement le pouvoir dans 3 mois. D’ici là, il conservera son titre de manière honorifique. D'ici là également, son vice-président, Abd-Rabbou Mansour Hadi, un homme consensuel, aura la lourde tâche de former un gouvernement d'union nationale et de rédiger une nouvelle constitution dans la perspective d'élections.
« Cet accord ne règle pas la distribution du pouvoir »
« Cet accord constitue une rupture importante, estime Franck Mermier, anthropologue au CNRS et fin connaisseur du Yémen, mais il ne règle pas la distribution du pouvoir ». Car si Ali Abdallah Saleh accepte bien de quitter ses fonctions, sa famille détient des postes clés au sein du pouvoir. « Le test sera de voir si le vice-président confirme ou non les membres de la famille Saleh dans leurs fonctions, poursuit Franck Mermier. Ahmed, le fils du président, qui dirige la garde républicaine, a du sang sur les mains et ses cousins sont à la tête des services de sécurité qui ont été parmi les plus violents dans la répression des manifestants ».
Leur maintien au sein des arcanes du pouvoir provoquerait la colère des jeunes manifestants qui rejettent déjà l’accord. Une sortie de crise pacifique ne sera de toute façon pas aisée. Il faut réconcilier les différentes composantes de la société yéménite qui se sont affrontées depuis des mois, sans compter les divisions ancestrales. Le Yémen est fait de tribus et de confessions hétéroclites. « Il y a des fragmentations sociologiques qui sont en amont de cette tentative de stabilisation qui est très louable, analyse François Thual, professeur de géostratégie à l’Ecole de guerre, mais le Yémen a toujours été le Yémen, c’est-à-dire une fédération très floue de régions tribales en révolte permanente ».
Quant à la formation d’un gouvernement d’union nationale, elle devrait se faire selon Franck Mermier, mais il n’y a pas de grands changements à attendre. « Même les opposants qui seront nommés au nouveau gouvernement, ont déjà participé aux gouvernements passés », dit-il. Laurent Bonnefoy, chercheur à l’Institut français de recherche du Proche-Orient, va plus loin. Pour lui, « les puissances internationales et régionales ont intérêt à ce que le système perdure, un système qui bien que ne fonctionnant pas très bien, collabore dans la lutte contre le terrorisme d’al-Qaïda, et c’est pour l’Arabie Saoudite comme pour les Etats-Unis le point essentiel ».