En attendant de marquer sa bonne volonté de passer de la répression au dialogue comme le lui demande la Ligue arabe, le président syrien, Bachar el-Assad a confié dimanche 30 octobre au quotidien britannique The Daily Telegraph qu’il n’a pas d’information sur le CNS. Le Conseil national syrien qui rassemble une bonne partie de l'opposition laïque et islamiste. Une boutade sans doute dans une situation sous haute tension sécuritaire où le régime tient à l’œil ses adversaires par-delà ses frontières, Bachar el-Assad a suggéré qu’il fallait « enquêter pour savoir si les membres du CNS représentent réellement les Syriens ». A l’entendre, l’enquête risque aussi de prendre du temps. Mais visiblement pour Damas, le temps c’est ce qui lui coûte le moins et, jusqu’ici, la force d’inertie lui a plutôt bien réussi.
Un terrain d’entente avec les amis syriens
Les tirs qui ont salué l’entremise de la Ligue arabe restant ceux de la répression, force est de constater que Damas ne s’est même pas senti dans l’obligation de mettre une sourdine. Pourtant, la Ligue arabe « a eu une bonne réunion à Doha et nous avons trouvé un terrain d'entente avec nos amis syriens », assurait au soir du 30 octobre Mourad Medelci, le chef de la diplomatie de l’Algérie, effectivement soucieuse de l’intérêt bien compris du régime de Bachar el-Assad. Et sans surprise, « la délégation syrienne a accepté sans réserves le plan de la Ligue arabe dans sa totalité », a lancé le 2 novembre à l’Agence France-Presse un autre membre de la délégation arabe resté volontairement anonyme.
La Ligue arabe a multiplié les petites phrases encourageantes et les déclarations optimistes, le temps d’obtenir une réponse de Damas sur son « plan de sortie de crise ». Et à défaut de clarifications en provenance de Damas, il faudra croire sur paroles le Premier ministre du Qatar, Hamad ben Jassem, qui dirige aussi la diplomatie de l’émirat et avait pris la tête à ce titre de la délégation de la Ligue arabe. « L'accord est clair et le plus important, c'est l'engagement de la Syrie à le mettre en œuvre », a-t-il déclaré au Caire, au siège de l’organisation panarabe.
La Ligue arabe réunit des Etats dont le moins que l’on puisse dire est qu’une majorité d’entre eux n’aspire pas du tout au changement demandé depuis le début de l’année par nombre de leurs peuples. Pour autant, certains - l’Arabie Saoudite en particulier - détestent cordialement le régime des el-Assad. D’autres lui restent liés et quoi qu’il en soit du poids des uns et des autres, le programme syrien de la Ligue arabe n’est nullement coercitif. Ce n’est pas dans la culture de l’organisation et à lire ce qui est communiqué de l’accord avec la Syrie, le contenu reste suffisamment vague pour que Damas puisse sembler s’y conformer à peu de frais politiques.
Quatre points pour passer de la répression au dialogue
Le premier point de l’accord - qui n’en compte que quatre - consiste à exiger au nom de « la protection des citoyens syriens », un « arrêt total des violences » en précisant : « quelles que soient leurs sources ». Une manière de prendre en compte les allégations du régime de Damas quand il dénonce des attaques de « salafistes », mais de dénier toute légitimité à la résistance armée des déserteurs par exemple. Ou encore de couper court à toute demande de protection étrangère, ce qui impliquerait l’usage de la force.
Deuxième gage de bonne volonté, la Ligue arabe demande à Damas la « libération des détenus qui ont été arrêtés en raison des événements en cours ». Cela avait déjà été le cas en avril puis en mai dernier, avec une amnistie générale qui concernait même les Frères musulmans. Jusque-là, leurs membres étaient passibles de la peine de mort pour la seule adhésion à la confrérie. Mais vider les prisons avant de les remplir à nouveau est une pratique courante en Syrie, c’est même l’un des instruments privilégiés de la stratégie de la terreur du régime el-Assad.
Quant au point 3 de l’accord, il prévoit une « évacuation de toute force militaire des villes et des quartiers résidentiels », plutôt qu’un retour au strict casernement des forces. Ce qui laisse penser que Damas pourrait continuer à faire tourner ses troupes sur l’ensemble du territoire, pourvu qu’elles ne soient pas visibles dans les centres urbains. Et aussi à employer des paramilitaires moyennant finance. Le quatrième point non plus n’est pas vraiment une garantie de transparence. Il réclame en effet une « autorisation pour les organisations concernées de la Ligue arabe et les médias arabes et internationaux, de se déplacer librement partout en Syrie pour s'informer de la réalité de la situation ».
Comme toujours en pareil cas, la « réalité de la situation » est fortement sujet à controverse, y compris dans les rangs de la Ligue arabe, et le régime autorise déjà régulièrement des visiteurs à venir sur place pour l’apprécier. Le 1er novembre dernier par exemple, les médias amis de la Syrie ont fait tourner en boucle les milliers de manifestants rassemblés à Deir Ezzor, dans l'est du pays, agitant des drapeaux et des photos du président au rythme de slogans tels que « Dieu, la Syrie, Bachar et c'est tout ! ». En revanche, il est très périlleux de tenter d’approcher les contestataires.
Un accord sans calendrier
Pour le moment, les chars sont encore visibles, à Homs notamment où ils ont encore fait des morts ce jeudi matin, au lendemain de l’acceptation d’un plan dont la Ligue arabe doit assurer le suivi. L’organisation n’a pas fixé de calendrier précis au gouvernement syrien pour qu’il fasse preuve d'un « progrès tangible » sur les quatre points préalables au dialogue. Elle se contente d’indiquer que « le comité ministériel arabe ad-hoc effectuera les contacts et les consultations nécessaires avec le gouvernement et les diverses composantes de l'opposition syrienne pour préparer une conférence de dialogue national dans un délai de deux semaines ». La Ligue arabe ne précise ni la date de départ de ce « délai », ni le lieu prévisible de la réunion après la kyrielle de prétendues conférences de dialogue organisées à Damas par le régime pour essayer de replâtrer sa façade extérieure.
Comme l’a souligné son secrétaire général, Nabil al-Arabi, pour la Ligue arabe, « l'objectif principal est de fournir une solution arabe qui envoie un message clair et crédible au peuple syrien pour une avancée qualitative dans l'arrêt de toute forme de violence et l'accès au terrain » des médias étrangers et des organisations de la Ligue arabe. Celle-ci a reçu ce jeudi 3 novembre une délégation du CNS qui entend pour sa part maintenir la pression sur le régime jusqu’au départ du pouvoir de Bachar el-Assad. Et au sortir de l’entrevue à la Ligue arabe, Samir al-Nachar, membre du bureau exécutif du CNS a expliqué que l’heure n’était pas au dialogue pour son organisation mais « à des négociations pour le transfert du pouvoir du régime tyrannique vers un régime démocratique ».
« Allah est grand, contre les despotes et les tyrans »
La semaine passée déjà, le CNS estimait que les discussions avec la Ligue arabe avait fait monter la tension sécuritaire du régime de Bachar el-Assad. Ce n’est d’ailleurs pas une médiation qu’il demandait à l’organisation mais une « suspension de l’adhésion » de la Syrie. Le régime veut gagner du temps, expliquait le CNS en promulguant comme slogan du vendredi 4 novembre : « Allah est grand, contre les despotes et les tyrans ». La majorité des opposants ne fait pas confiance à la Ligue arabe pour peser sur Bachar el-Assad. D’après eux, si elle avait vraiment décidé de se mobiliser contre sa politique de répression, l’organisation panarabe aurait demandé des gestes concrets avant de faire des annonces qui donnent à penser que Damas fait des concessions, alors que le sang continue de couler.
Pour le CNS, le mot d’ordre est plus que jamais « de serrer les rangs et d'intensifier la révolution pacifique jusqu'à la réalisation de toutes ses aspirations ». Quant aux Comités de coordination locaux (LCC) qui tissent le réseau contestataire, ils ont bien sûr salué « les efforts de la Ligue arabe visant à arrêter l'effusion de sang des Syriens et à les protéger des balles tirées par l'armée et la sécurité [...] mais ils mettent en doute l'acceptation par le régime syrien des clauses du plan » arabe. Ils restent polis vis-à-vis d’une initiative dont le principal mérite est pour le moment de montrer que la Ligue ne reste pas indifférente au sang qui éclabousse la vitrine arabe. Bref, l’opposition entend maintenir la pression et juger sur pièces.