Les factions se disputent l’après-Saleh à Sanaa

Après le départ « en convalescence » en Arabie Saoudite du président Ali Abdallah Saleh blessé par un tir contre son palais de Sanaa en juin dernier, les affrontements violents ont repris depuis le 17 septembre dans la capitale yéménite. Ils témoignent d’une véritable guerre des positions entre multiples factions, selon le responsable du Centre d’archéologie et des sciences sociales de Sanaa, Michel Tuchscherer.

RFI : Quel est l’enjeu de la reprise des combats à Sanaa ?

Michel Tuchscherer : Il est difficile d’y voir clair parce que les acteurs sont extrêmement nombreux et que chacun d’entre eux a sa stratégie propre. Mais plusieurs événements ont eu lieu le mois passé. Le premier, c’est le ramadan qui a bien sûr été marqué par un ralentissement des affaires au Yémen mais probablement aussi par un affaiblissement du mouvement de contestation sur les places centrales des principales villes du Yémen.

Ensuite, après la fin du ramadan, il y a eu plusieurs initiatives avec en particulier la relance de la médiation du Conseil de coopération du Golfe. Et les discussions ont beaucoup avancé puisque le président Saleh a enfin délégué à son vice-président la charge de négocier une sortie de crise avec les partis de l’opposition. Mais là justement il y a des points d’achoppement, notamment sur la tenue des élections et sur le degré de retrait du président lui-même puisqu’en fait il n’a fait que déléguer, il ne s’est toujours pas retiré du pouvoir et l’opposition craint qu’il pèse de tout son poids sur les élections à venir.

Mais d’un autre côté, il y a une volonté très réelle des mouvements de contestation – et je mets bien ces mouvements au pluriel parce qu’ils sont multiples – pour amplifier à nouveau la contestation. Des appels à manifester ont été lancés dans les grandes villes. Apparemment, ils ont été suivis de manière importante ces deux derniers vendredi. En outre, à partir de dimanche dernier on a vu à l’œuvre une volonté d’agrandir les quartiers tenus par les contestataires, là où ils ont installé leurs tentes. Dans ce contexte, il est difficile de cerner avec précision le jeu d’Ali Mohsen, le général dissident qui est depuis mars dernier l’un des acteurs principaux de l’opposition au président Saleh en tant que « protecteur » en quelque sorte des contestataires.

RFI : Le clan d’al-Ahmar, le chef tribal, aussi aurait pris part à ce regain de violence ?

M.T. : Oui, ses partisans auraient fait savoir qu’ils n’étaient plus intéressés par l’initiative du Golfe. Mais il faut souligner que dans cet imbroglio yéménite, beaucoup de rumeurs circulent et il est difficile de mesurer la réalité des propos attribués aux uns et aux autres. Mais les al-Ahmar comptent parmi les acteurs essentiels de la scène yéménite et il est sûr qu’ils participent d’une manière ou d’une autre aux discussions sur les futures élections au Yémen et sur la place que pourrait y tenir le président Saleh.

RFI : On a bien compris que les acteurs étaient très divers. Mais est-ce qu’on peut les regrouper un peu schématiquement en grandes factions qui se disputent l’après-Saleh : le clan Saleh, le clan Ahmar - qui d’ailleurs est aussi représenté dans le Forum commun de l’opposition par le parti islamiste -, et le Forum de l’opposition avec les contestataires et leur protecteur le général Ali Mohsen ?

M.T. : Moi je rajouterai un certain nombre d’acteurs. Il y a aussi le mouvement dissident du Sud. Et également le mouvement zaïdite de la région de Saada au Nord. Et à l’intérieur de ces mouvements principaux, il faudrait encore prendre certains sous-groupes en considération. Prenons par exemple le cas des contestataires qui ont initié le mouvement (NDLR : les contestataires sont largement issus de la jeunesse yéménite et ne coïncident pas forcément avec l’opposition). Une bonne partie d’entre eux se sont organisés en coordination. Il en existe deux principales dont l’une est très proche des partis d’opposition du Forum commun tandis que l’autre prend des positions opposées beaucoup plus radicales demandant notamment le départ immédiat de Saleh.

Le jeu est extrêmement complexe et l’une des difficultés c’est justement que les différents acteurs ne parviennent pas à trouver un langage commun pour une sortie de crise.

RFI : Qu’est-ce qu’on sait exactement de l’état d’avancement des discussions sur le départ de Saleh ?

M.T : Les positions restent pour le moment très éloignées. Pour un certain nombre de contestataires, il n’est toujours pas question de transiger sur un départ immédiat et définitif du président Saleh ainsi que sur la disparition du régime actuel. En revanche, les partis du Forum ont une position beaucoup plus nuancée puisque pour eux il s’agit surtout de négocier des aménagements transitoires vers de nouvelles élections.

Quant au parti du Congrès du peuple, le parti de Saleh, il compte lui-aussi des modérés, qui seraient tout à fait d’accord pour arriver à une position de compromis, ce qui voudrait dire une abdication du président en faveur du vice-président – parce que pour l’instant la délégation de pouvoir ne s’est pas faite officiellement. Mais au Congrès, il y en a d’autres qui exigent jusqu’à présent que le président puisse aller jusqu’au terme de son mandat, en 2013. Donc les positions restent extrêmement tranchées et éloignées les unes des autres.

RFI : Dans l’immédiat le nœud du problème reste la question de l’après-Saleh ?

M.T : Oui, absolument. Mais il est difficile de savoir exactement quelles sont les forces derrière le regain de violence actuel. Il y a sans doute des contestataires. En tout cas, ce mercredi après-midi, l’appel à participer aux cérémonies de funérailles des victimes des combats de ces derniers jours provenait justement de la coordination qui est proche du Forum de l’opposition, ce qui supposerait qu’ils ont joué un rôle très important dans ce qui s’est passé ces derniers jours. Mais en même temps, il y a le jeu du fils du président qui prend lui aussi position sur l’après-Saleh. Apparemment, le président a en effet exigé que son fils soit amené à jouer un rôle majeur dans le futur Yémen.

RFI : Les batailles en cours ressemblent à des disputes de territoires pour se positionner dans l’après-Saleh ?

M.T. : Oui et c’est bien de territoires qu’il s’agit concrètement dans la ville de Sanaa. Celle-ci est en effet divisée en zones contrôlées par différentes factions. Il y a la zone entre les mains du fils du président, elle est contrôlée par le restant de l’armée fidèle au régime, ensuite il y a une zone contrôlée par les partisans de al-Ahmar – le chef de tribu. Une dernière zone est placée sous la protection du chef dissident Ali Mohsen et abrite aussi les différents mouvements contestataires. Effectivement, ce qui se passe, c’est une dispute de terrains parce que c’est ce qui matérialise le rapport des forces.

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