Le jeune homme est originaire de Deraa, la ville du sud-ouest d’où est partie la contestation. Petite barbe, blouson, jean serré, il a un look d’étudiant. En Syrie, il vendait des voitures. Il aurait aimé être avocat. « Je n’ai pas terminé mes études car j’ai été arrêté à la fin de mes années de lycée en 2004. Ils m’ont accusé de propager des idées en faveur des Etats-Unis et d’Israël, tout ça parce que j’avais des contacts avec des Américains, des Allemands, des Britanniques. Un juge de la cour de sûreté de l’Etat a dit de moi que j’étais un criminel. Dix- huit mois plus tard, j’ai été relâché ».
Des le début de la contestation, il filme toutes les manifestations à Deraa et aux environs, « Je les envoyais à l’Observatoire syrien des droits de l`homme basé a Londres ». Pourquoi se met-il en danger ? « Ras le bol, colère, un peu tout ça ». Le 3 mai, il est arrêté. Il est avec un ami, celui-ci tente de s’échapper, il est tué sur place.
« La Syrie tue ses enfants ! »
« J’ai été emmené à Damas aux quartiers généraux des services de renseignements. C’est là dans le couloir où j’attendais que j’ai vu par terre un adolescent. Ses mains étaient menottées derrière son cou. Il saignait du nez, des yeux, de la bouche et il avait une blessure par balle. Je n’avais aucune idée de son nom. Il les suppliait d'arrêter, il appelait son père et sa mère. J’ai eu peur de subir le même sort que lui. Ils se sont acharnés sur lui parce qu’il a refusé de s’agenouiller devant la photo de Bachar el-Assad. Ils le tapaient avec une sorte d’épée. Il a aussi refusé de confesser que son père était un des meneurs des manifestations. C’est là qu’ils m’ont emmené dans une cellule et je ne l’ai plus revu. On entendait encore ses cris, mais après deux jours, on ne la plus entendu ».
Les vidéos du corps torturé de Tamer Mohamed al-Shary circulent sur Youtube. Tamer a eu les dents arrachées, son corps a des marques de brûlures de cigarettes, son cou a été cassé, il a des impacts de balle sur la côte et dans l’œil. L’adolescent a été arrêté à Jeeza le 29 avril avec le jeune Hamza al-Khatib, 13 ans. Les deux garçons étaient amis. Ils ont été torturés et mutilés. Lorsque les corps ont été rendus aux familles, la population a défilé en criant : « les médias locaux vous mentent. La Syrie tue ses enfants ! ». Officiellement les deux garçons ont été tués pendant une manifestation, mais rendus quatre semaines plus tard à leurs familles.
Ibrahim contredit cette version. Il a vu le jeune homme dans les locaux des services de renseignement de l’armée à Damas. « A ma sortie j’ai vu les vidéos de Tamer et je l’ai reconnu. C’est sans doute pour ça qu’ils ont essayé de m’arrêter à nouveau. J’ai fui car je savais que cette fois je ne ressortirais pas de prison. »
Ibrahim assure qu’il reçoit des appels de menace sur son portable. Il veut obtenir l’asile. Il se présente comme réfugié politique, après tout le régime syrien l’a traité de criminel mettant en danger la sûreté de l’Etat. Assis à côté de lui, un autre jeune homme. Il ne parle pas et semble craindre la présence des médias. Presque en s’excusant, il avouera que lui aussi a été emprisonné, et torturé, et « je ne suis pas bien dans ma tête depuis tout ça. Ne me posez pas de question. Vous comprenez ma famille est toujours là bas. »