Damas veut faire croire à une révolte islamiste

Alors que les sanctions européennes épargnent la personne du président Bachar el-Assad et que les Etats-Unis répugnent à se prononcer en faveur de son départ, le régime syrien réprime sans désemparer, en particulier au Sud dans la région de Deraa où il a déployé ses chars il y a trois semaines. Pour dissuader les Syriens non sunnites d’adhérer à la révolte et pour convaincre la diplomatie occidentale de ne pas le lâcher, le pouvoir alaouite s'efforce de faire croire à une révolte islamiste comme l'explique le porte-parole de la Commission arabe des droits de l'homme, Haytham Manna.

Haytham Manna : Le régime continue d’assiéger la ville de Deraa. C’est la troisième semaine aujourd’hui. Nawa aussi est assiégée. Et el-Ara, cette petite ville proche des frontières du Golan, a perdu quatorze martyrs hier, en une seule journée.
Il y a eu aussi quatre morts avant-hier à al-Jassem. Nous en sommes à peu près à une trentaine de morts dans le gouvernorat de Deraa en plus des 4 000 prisonniers dans ce même gouvernorat. Le régime essaie de faire croire qu’il est capable de tout pour réprimer et arrêter la révolte là où elle a commencé, à Deraa.

RFI : Ces dernières semaines avaient été évoquées des défections dans le parti Baas au pouvoir et également dans l’armée. Finalement cela n’a pas eu d’effet ?

H.M : A mon avis, le problème essentiel aujourd’hui en Syrie, c’est l’adhésion à la révolte de certaines villes, de certaines classes sociales et des minorités non sunnites parce que le régime a plus ou moins réussi à donner l’impression que la coloration islamique du mouvement n’est pas une illusion, que c’est bien la réalité. En fait si on observe dans son ensemble le millier de martyrs dans le pays, on peut en trouver quatre ou cinq qui sont des pratiquants de réputation islamiste. Mais la majorité, ce sont des jeunes qui essaient de dire « non à la répression, nous voulons un Etat de droit et nous voulons un Etat démocratique, un changement démocratique dans le pays ».
Malheureusement, la propagande médiatique des pro-Saoudiens, celle de certaines télévisions financées par des salafistes et par les Saoudiens, a un effet très négatif dans le pays parce qu’ils parlent comme si c’était eux qui dirigeaient les actions et les manifestations sur le terrain et cela crée un état de confusion dans plusieurs villes éloignées du sud de la Syrie.

RFI : Les sunnites sont massivement dans la rue. Mais il n’y aurait pas beaucoup de chrétiens par exemple ?

H.M : Non, c’est inexact. Dans la région du Sud, là où la révolte est très massive, toutes les confessions sont représentées. Il y a des chrétiens, des musulmans, toutes obédiences confondues. Le problème, c’est l’attaque médiatique de certains médias islamistes financés par l’Arabie Saoudite qui couvrent les événements d’une façon très sectaire en disant qu’ils veulent un Etat islamiste en Syrie. Et nous, nous payons les frais de ces médias démagogiques qui font peur aux minorités qui habitent des régions éloignées d’Alep, ou de Lattaquié ou des villes de l’intérieur et qui ne savent pas exactement ce qui se passe à Deraa.

RFI : Vous parlez d’une véritable césure entre ceux qui manifestent et qui subissent la répression d’une part et le reste de la population d’autre part ?

H.M : Il y a trois univers dans un état de schizophrénie : l’univers internet et Facebook, l’univers médiatique des satellites de la région parmi lesquels quatre ou cinq qui ont un caractère très salafiste, et la réalité.
La réalité est totalement séparée de tout ce que l’on appelle la révolution syrienne sur Facebook parce que ce sont des exilés qui vivent à l’étranger et que dans leur majorité ils ont une coloration islamiste. A l’intérieur, c’est le contraire, la coloration laïque domine complètement. Surtout à Deraa qui n’est pas une ville connu pour son appartenance à une organisation islamiste quelconque.

RFI : Tout cela crée un rapport des forces internes à la Syrie qui n’est pas en faveur des manifestants ?

H.M : Nous vivons réellement une situation où celui qui paye les frais sur le terrain a une approche civique et laïque du changement tandis que celui qui propage des vues très islamistes, dans les médias arabophones surtout, il n’a personne sur le terrain et c’est Bachar el-Assad qui en profite.

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