Fin de partie pour Ali Abdallah Saleh?

Le Yémen sous état d’urgence, le président Saleh propose de quitter le pouvoir à la fin de l’année, après des législatives. Mais l’opposition demande sa démission immédiate. Et les défections se multiplient depuis la répression sanglante de vendredi dernier. Et cette fois, la fracture lézarde l’armée.

Ali Abdallah Saleh avait déjà officiellement renoncé à léguer le fauteuil présidentiel à son fils. Il avait même abandonné l’idée de s’incruster à vie par un tour de passe-passe constitutionnel. Et cette fois, il propose de partir fin 2011, après des législatives qui verraient le Yémen passer d'un régime très présidentiel à un système parlementaire. Trop peu, trop tard selon le porte-parole de l'opposition, Mohammad Gahtani. « Le sang versé et la mobilisation du peuple ne lui laissent pas d'autre choix » que de partir sur le champ.

Visiblement ses offres de dialogue ne soulèvent plus le moindre intérêt du côté des jeunes initiateurs du mouvement de contestation lancé le 21 février dernier. Ils continuent de manifester sur la place de l'université de Sanaa. Et une marche sur le palais présidentiel est programmée pour vendredi.

La stratégie de la division ne fonctionne plus

A 69 ans, et après trois décennies d’un règne sans partage sur le Yémen, le président Saleh a usé et abusé de la stratégie de la division. Il n’a sûrement pas encore complètement épuisé sa capacité de nuisance ce qui fait planer une menace sanglante sur le pays. Mais après certains représentants des groupes tribaux, ce sont une quarantaine de députés, des fonctionnaires et des hauts responsables militaires qui ont fait défection. Le navire Saleh coule et son opposition de bric et de broc comprend une partie de l’armée après avoir ratissé large dans les rangs socialistes des anciens de la République démocratique du Sud Yémen, mais aussi du côté de la très puissante mouvance islamiste et même parmi les chiites schismatiques du Nord ou les sécessionnistes du sud.

Avec le général Ali Mohsen al-Ahmar, c’est un poids lourd du régime qui vient de faire défection. Ali Mohsen al-Ahmar commande la zone militaire du nord-est qui comprend la capitale. Il est même le frère de lait du président Saleh. Pour marquer sa puissance de feu, le général al-Ahmar a fait déployer des blindés autour de certains bâtiments publics comme la banque centrale ou le siège du parti présidentiel. Mais dans le camp adverse, la priorité, c’est la défense du palais présidentiel avec là aussi un cordon de chars d’assaut sous le commandement du chef de la garde présidentielle qui est aussi le fils du président, Ahmed Saleh, avec son cousin à ses côtés, le chef des forces spéciales, Tarek Saleh. Ce face à face militaire a fait monter la tension d’un cran.

Le conflit est en voie de militarisation croissante

Entre le général al-Ahmar et le clan Saleh, c’est un véritable duel au sommet du régime qui commence et un affrontement hautement militarisé qui risque d’éclater alors que les contestataires avaient jusqu’ici choisi la voie des manifestations pacifiques. D’ailleurs le général al-Ahmar a déclaré qu’il allait protéger les manifestants mais il n’a pas à proprement parler rallié l’opposition comme l’explique Laurent Bonnefoy spécialiste du Yémen à l’Institut français du Proche- Orient. Et comme il le souligne, avec sa réputation d’exécuteur des basses œuvres du régime, le général n’a pas vraiment le profil du changement espéré par l’opposition.

Pour l’opposition, c’est tout le clan Saleh qui doit partir. Mais chacun sait aussi au Yémen que le général al-Ahmar a conduit la répression contre ceux que l’on appelle les « houtistes » au Nord. C’est lui aussi qui a manié la carotte et le bâton à l’endroit des partisans yéménites d’Al-Qaïda dans la Péninsule arabique. Un jeu trouble qui a longtemps vu le pouvoir Saleh s’accommoder des fidèles d’Oussama ben Laden pour garantir sa tranquillité avant de s’afficher en avant-garde de la lutte antiterroriste financée par les Etats-Unis avec le soutien militaire de l’Arabie saoudite voisine.Dans ce rapport de forces compliqué, il faut aussi compter avec les formations tribales. Elles sont très fortement armées et très puissantes dans les hauts plateaux du Nord, là où vit plus de la moitié des Yéménites. Organisées en confédération, elles ont de tous temps été partie prenante du pouvoir central. Et comme le rappelle Laurent Bonnefoy, outre leur propre capacité de mobilisation en hommes et en armes, le jeu du clientélisme national leur octroie des positions importantes dans le haut-commandement de l’armée de la République du Yémen. Un tissu de relations très difficile à déchiffrer, en particulier dans la crise actuelle où les formations tribales sont aussi un facteur de militarisation

Riyad et Washington cherchent une porte de sortie pour Saleh

Ali Abdallah Saleh s'efforce de peser dans la balance tribale qui peut faire la différence. Mais il paraît en voie de perdre la main dans ce jeu volatil des fidélités. Il peut également de moins en moins compter sur ses alliances extérieures. Sa capacité à tenir le cap de son régime en faisait un moindre mal aux yeux des Etats-Unis qui versent au moins 150 millions de dollars par an d'aide militaire au Yémen pour sa lutte contre la branche d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique. L'Arabie Saoudite voisine aussi soutenait Saleh. Ce n'est plus le cas selon Fatiah Dazi Heni Politologue spécialiste de la Péninsule arabique. Face à la montée de la contestation dans toute la Péninsule, l’Arabie saoudite a totalement négligé son voisin yéménite, envoyant au contraire des troupes en renfort au Bahrein. Mais le sauvetage de la dynastie sunnite des al-Khalifa est une priorité pour la monarchie wahhabite qui se sent menacée sur son flanc oriental par le mécontentement chiite.

Finalement, selon Fatiah Dazi Heni, Washington aurait passé l’éponge sur l’interventionnisme saoudien à Bahrein où ses rappels à l’ordre démocratique n’ont nullement empêché la répression de faire le vide manu militari place de la Perle, le haut-lieu de l’opposition, mais aussi dans tout le pays, pourchassant les manifestants blessés jusque dans les hôpitaux. En retour, les Etats-Unis comptent sur Riyad pour trouver une solution de rechange au président Saleh. Des voix occidentales de plus en plus fortes se sont jointes à celles des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite pour dénoncer le bain de sang yéménite et recommander au président Saleh de prendre la porte de sortie.

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