Des relations franco-syriennes à l’épreuve de WikiLeaks

Le président syrien, Bachar el-Assad est l’invité de Nicolas Sarkozy, qui compte beaucoup sur son appui pour maintenir le calme au Liban. La classe politique libanaise est en effet en émoi depuis que le Hezbollah a dit qu’il ne se laisserait pas accuser sans réagir par le Tribunal spécial pour le Liban, le TSL chargé de faire la lumière sur l’assassinat à Beyrouth en 2005 de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri.  

Paris, de son côté, a abandonné l’idée de désigner Damas comme cible principale du TSL (Tribunal spécial pour le Liban). Au contraire, Nicolas Sarkozy a choisi de ramener le régime el-Assad sur les scènes régionale et internationale, contre l’avis de Washington, qui dénonce ses liens avec le Hezbollah libanais, l’Iran, le Hamas palestinien et même avec certains insurgés irakiens comme le révèle la lecture de WikiLeaks. La Syrie ne laisse pas indifférentes les entreprises françaises qui s'intéressent à l’aménagement de ses réseaux routiers, ferroviaires ou portuaire. Mais c’est un tête-à -tête diplomatique très politique que le président Sarkozy souhaitait avoir avec Bachar el-Assad en ce début décembre. Depuis qu’il a décrété fréquentable le président syrien en l’invitant à la fête nationale du 14-Juillet en 2008, le chef de l’Etat français caresse en effet toujours l’espoir de faire avec lui des projets d’avenir communs sur le Liban, l’ancienne pomme de discorde entre Paris et Damas.

Le Hezbollah bientôt mis en accusation

Le greffier du Tribunal spécial pour le Liban a annoncé jeudi 9 décembre 2010 qu'un acte d'accusation allait être présenté « très, très bientôt ». En même temps, il a indiqué que son contenu « restera confidentiel au moins jusqu'à ce qu'il soit confirmé par le juge de la mise en état », ce qui devrait nécessiter « 6 à 10 semaines ». Un agenda qui accorde un bref répit à ceux qui s’inquiètent des répercussions d’une mise en accusation qui devrait viser le Hezbollah après avoir menacé de se concentrer sur la Syrie à la création du TSL, en 2007.

Le TSL a été « spécialement » chargé de juger les commanditaires et les exécutants de l'attentat à la camionnette piégée qui a tué l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et 22 autres personnes le 14 février 2005 en plein cœur de Beyrouth. Il constitue la réponse des Nations unies qu’avaient saisies à l’époque la majorité libanaise soutenue au premier chef par la France et les Etats-Unis. Mais aujourd’hui, Paris et Washington ne sont plus sur la même longueur d’ondes concernant le dossier syro-libanais comme en témoignent si nécessaire les télégrammes de la diplomatie américaine que WikiLeaks vient de mettre sur la place publique.

L'opposition chiite islamiste du Hezbollah dénonce un complot « israélo-américain » et jure qu'elle ne laissera pas le TSL mettre en cause sa responsabilité dans l’assassinat d’Hariri, et cela quel que soit le niveau hiérarchique de ceux de ses membres qui pourraient être nommément incriminés. Du coup, c'est tout le fragile équilibre politico-confessionnel libanais qui tremble sur ses bases. Qu'ils soient de l'opposition ou qu'ils appartiennent à la majorité gouvernementale de Saad Hariri, les visiteurs libanais du président français l'ont répété à Paris, chacun à sa manière bien sûr.

Saad Hariri ne veut pas provoquer le Hezbollah

Avant le président syrien, Nicolas Sarkozy a en effet reçu ces dernières semaines des représentants importants de l'opposition libanaise : le général chrétien Michel Aoun ou encore le chef du parti chiite Amal, le président du Parlement libanais Nabih Berry. Et le 2 décembre dernier, c’est le Premier ministre Saad Hariri, le fils Rafic Hariri qui était reçu à l’Elysée. Il revenait de Téhéran et assurait que le « Hezbollah est un parti politique assez important au Liban avec lequel la relation a été toujours une bonne relation ».

Saad Hariri, le chef sunnite en convient, avec le Hezbollah chiite « des fois, on a des différences, c'est normal, ça c'est la politique, c'est la démocratie ». Mais en dépit de sa volonté politique et filiale de tirer au clair le meurtre de son père, le Premier ministre libanais ne souhaite visiblement pas soulever l’ire du Hezbollah, le seul mouvement suffisamment armé et déterminé pour tenir tête à Israël pendant sa guerre au Liban en 2006.

Selon les documents américains révélés par Wikileaks, Saad Hariri estimait en 2008 qu’une intervention militaire israélienne contre le Hezbollah serait contre-productive pour l’alliance pro-occidentale libanaise à laquelle il appartient. Elle risquerait même de signer l’arrêt de « mort » des protégés des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite en consacrant l’aura de résistant du Hezbollah. Pire encore, « affirmant que certains en Israël et aux Etats-Unis pensent qu'Israël devrait débarrasser le Liban du Hezbollah une bonne fois pour toutes, Hariri a averti qu'une telle stratégie n'affaiblirait le Hezbollah que temporairement, car l'Iran et la Syrie rétabliraient la présence du Hezbollah au Liban ».

Partage des tâches diplomatiques entre Paris, Damas et Ryad

Dans le même câble de 2008, le diplomate soulignait que pour le Premier ministre libanais « sunnites et chrétiens y perdraient, car Israël combattra une nation, et pas juste le Hezbollah » chiite. Des propos crus qui éclairent l’attente désormais mitigée de Saad Hariri vis-à-vis du TSL. Un souci partagé par Paris, Damas et même Ryad. Et si aux côtés de l’Arabie saoudite très liée à la famille Hariri, Nicolas Sarkozy peut tabler sur l'influence tutélaire française pour calmer le jeu à Beyrouth du côté d'une grande partie de la classe politique libanaise, le président français est aussi le mieux placé pour demander au président syrien de faire de même du côté du Hezbollah.

C'est en effet le président Sarkozy qui avait personnellement entrepris de ramener la Syrie dans le concert des nations après des années de discorde pour cause de Liban, mais aussi d’amitiés - coupables aux yeux de Paris - avec Téhéran et le Hamas palestinien. Un activisme régional de la Syrie qui incommode toujours très vivement les Etats-Unis, surtout au regard de la volonté française de considérer Damas comme une pièce incontournable du puzzle proche-oriental, sans trop se soucier des sites qui soulèvent dans le désert syrien un vent de soupçons sur les ambitions nucléaires militaires du régime el-Assad.

Selon un mémorandum de l'ambassade américaine à Damas publié par WikiLeaks, le Hezbollah disposerait de bases-arrières militaires en Syrie où il s’approvisionnerait également en lance-roquettes et en missiles, en quantité suffisante pour une nouvelle confrontation avec Israël. Et, d’après la diplomatie américaine, « les dirigeants syriens semblent par ailleurs convaincus qu'armer le Hezbollah permet à la Syrie de disposer d'un levier plus puissant pour ramener Israël à la table des négociations » sur le Golan syrien occupé par Israël et sur le conflit israélo-palestinien.

Washington consterné

Autre souci exprimé dans les télégrammes américains publiés sur WikiLeaks : la France aurait fini par traîner les pieds face aux demandes de coopération du TSL. Et cela, à l’instar de la Syrie qui, d’après le procureur Daniel Bellemare, traiterait les enquêteurs comme des « gamins » en les noyant sous des dizaines de milliers de pages sans intérêt. Au final, le rapprochement avec la Syrie voulu par la France consterne les Etats-Unis. Selon un télégramme de 2009 : « Les officiels français sont convaincus que la main tendue de Sarkozy a fait du président el-Assad un partenaire plus productif pour la résolution des problèmes dans la région, bien qu'ils aient du mal à fournir des exemples concrets de ce changement ».

La diplomatie américaine s’agace aussi de voir le président français prendre ses désirs pour des réalités, comme en mai dernier, dans l’affaire de la libération de la jeune Française Clothilde Reiss détenue en Iran, où Nicolas Sarkozy avait rendu grâce de façon appuyée à Bachar el-Assad pour une entremise qui n’a jamais eu lieu. Une manière pour le président Sarkozy de « valider sa politique d’ouverture à la Syrie ».

 

 

 

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