Dix ans de règne pour Bachar al-Assad

Bachar al-Assad passe le cap des dix ans au pouvoir en Syrie. Le 17 juillet 2000, à 34 ans, il succédait à son père Hafez al-Assad en prenant officiellement ses fonctions en tant que président de la République syrienne. En une décennie, Bachar al-Assad a dirigé un pays tour à tour au ban des nations puis redevenu incontournable, avec comme point d’orgue sa présence à Paris pour le défilé du 14 juillet 2008. Le politologue Joseph Bahout, enseignant à Sciences Po Paris et chercheur à l'Académie diplomatique internationale (ADI), joint au téléphone par RFI, revient sur ces dix années de pouvoir et sur les priorités du régime syrien, dont les relations avec le Liban.

RFI : Quelles sont à vos yeux les grandes étapes qui ont marqué ces dix années de pouvoir ?

Joseph Bahout : Lorsque Bachar al-Assad a pris les rênes du pouvoir, il jouissait d'une réputation de réformiste. Il existait une sorte de bienveillance internationale sur cette transition. Mais les choses vont se gâter à partir de 2003 et de l'intervention américaine en Irak. Puis avec l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri en février 2005. La Syrie est alors véritablement placée au ban des nations. Elle fait l'objet d'une série de résolutions internationales et beaucoup dans le monde ne donnent pas cher de la peau de Bachar al-Assad et de son régime. Le pays entre alors dans une période de purgatoire qui va s'achever avec la victoire relative du Hezbollah contre Israël lors de la guerre de juillet 2006. A partir de là, Bachar al-Assad perçoit que le climat international et la donne régionale sont en train de changer. Il sent également que la communauté internationale revient à des idées plus réalistes vis-à-vis de la Syrie. Cela va se concrétiser en 2008. La Syrie va alors revenir progressivement dans le jeu international. Aujourd'hui, c'est une situation plutôt favorable à la Syrie qui s'est installée dans la région, avec évidemment ses alliances nouées avec l'Iran, la Turquie, le Qatar et d'autres pays.

RFI : Quelles sont les priorités du régime syrien en politique étrangère ?

J. B. : L'objectif numéro un pour le régime syrien est avant tout d'assurer sa propre survie. Cela passe par un environnement géopolitique protégé et par un équilibre stratégique. Celui-ci n'est pas forcément militaire et ne peut pas l'être avec Israël sur la question, essentielle pour le régime, du conflit israélo-arabe et des territoires occupés. Il ne faut pas oublier, comme cela est trop souvent le cas, que la Syrie continue d'avoir un territoire occupé depuis 1967, à savoir le plateau du Golan. Il s'agit donc pour la Syrie de récupérer ce territoire par tous les moyens possibles et imaginables. L'autre élément majeur pour la stabilité et la survie du régime est évidemment une certaine influence sur le Liban. Ou du moins, l'assurance que le Liban ne sera jamais un flanc hostile à la Syrie, où se trament des complots contre le régime. Ce qui a été le cas, aux yeux des Syriens, à partir de 2005.

RFI : Pouvez-vous nous décrypter le rapprochement inattendu entre Saad Hariri et Bachar al-Assad ?

J.B. : Lorsque Saad Hariri s'est rendu pour la première fois à Damas il y a moins d’un an, cela a été un événement cataclysmique. Un événement qui dépasse même le niveau politique pour atteindre des dimensions psycho-analytiques. Pour être plus clair, voilà un homme, Saad Hariri, qui est convaincu probablement que Bachar al-Assad lui-même a ordonné l'assassinat de son père, qui l'a déclaré plusieurs fois, qui avait juré la perte du régime et qui finalement se rend à l'évidence, au réalisme et fait le voyage à Damas, serre la main de cet homme dont il avait juré qu'il le verrait derrière les barreaux et passe la nuit dans son palais. C'était donc quelque chose de proprement inimaginable quelques mois auparavant. Aujourd'hui, nous sommes à la veille de la troisième visite de Saad Hariri à Damas. Il a repris les vieilles habitudes libanaises, qui consistent à aller consulter le président syrien sur des choses qui parfois relèvent de la petite souveraineté libanaise.

Propos recueillis par Matthieu Chaumet 

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