A sa manière habituelle d’entrer dans des négociations, la République islamique a fait monter la pression à la veille de la réunion en annonçant dimanche la production d’un premier lot de concentré d'uranium à partir de minerai extrait de l'une des mines du sud iranien. Et depuis octobre 2009, l’Iran n'a rien fait pour lever les soupçons sur ses ambitions militaires malgré le renforcement des sanctions internationales en juin dernier. Celles-ci finissent quand même par peser. Mais si Téhéran a accepté de reprendre le dialogue à Genève, c’est en faisant savoir haut et fort qu’aucune concession sur son programme d’enrichissement d’uranium n’est à l’ordre du jour.
Le mystère des centrifugeuses
Au plus fort de la polémique sur le degré d’enrichissement de son uranium, l’Iran s’est déjà vanté d’avoir la capacité technologique du nucléaire militaire tout en assurant qu’il n’avait pas besoin de l’arme atomique pour se défendre. Il se plait aussi à laisser planer le mystère sur ses stocks de combustible qui sont estimés aujourd’hui à plus de 3 000 kilos contre la moitié en octobre 2009 au moment des précédentes négociations. Les centrifugeuses iraniennes continuent donc de tourner, pour la plupart à l’abri des regards. Mais en novembre dernier, selon l’AIEA, l’Agence de l’énergie atomique, elles ont été victimes d’un virus informatique. Un incident dont l’impact réel reste à évaluer.
Comme l’explique l’ancien secrétaire général du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, Georges Le Guelt, le ver informatique qui a infecté les centrifugeuses iraniennes – s’il s’agit bien du fameux « Stuxnet » mis en cause – est de nature à agir sur leur vitesse ce qui aurait pour effet de détruire tout ou partie des batteries. Reste à savoir si c’est bien ce qui s’est passé, si certaines centrifugeuses sont parties à la casse et si, comme l’a affirmé Téhéran, son programme nucléaire a été retardé. En effet, Georges Le Guelt souligne que ni les inspecteurs de l’AIEA, ni même les services de renseignements occidentaux n’ont été en mesure de vérifier la réalité et l’amplitude de l’incident, ce qui illustre les difficultés de la diplomatie internationale à prendre des décisions sur la foi d’informations partielles.
La peur d’un Iran atomique
Selon Georges Le Guelt, la réunion de Genève sera l’occasion de tenter d’en savoir plus « dans les couloirs » sur « l’attaque informatique » de la mi-novembre, mais aussi pour essayer d’évaluer les rapport de forces internes à l’Iran entre « ceux qui veulent l’arme atomique et ceux qui estiment qu’il suffit d’en avoir la capacité et qu’il n’est pas nécessaire d’aller plus loin ». Mais il est probable que rien ne viendra vraiment apaiser les craintes des Occidentaux vis-à-vis d’une puissance atomique islamique en Iran. « Un sujet d'inquiétude dans tous les continents, et tout particulièrement ici, dans la région», a du reste souligné vendredi dernier la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, à Bahrein, dans le Golfe, où elle participait justement à un forum sur la sécurité régionale.
Comme le souligne la chef de la diplomatie américaine, pour ses voisins arabes, l’Iran « paraît beaucoup plus menaçant que si vous êtes à des milliers de kilomètres ». L’idée d’une puissance nucléaire chiite qui jouerait les gendarmes régionaux tétanisent d’autant plus les pays du Golfe qu’ils abritent des minorités chiites. A Bagdad comme à Ryad, l’Iran reste le « serpent » dont le roi Abdallah d’Arabie saoudite, souhaiterait voir « couper la tête » si l’on en croit les télégrammes diplomatiques révélés la semaine dernière par Wikileaks. Finalement, comme le souligne depuis Bagdad le chercheur du Centre d’études du monde arabe et méditerranéen, Hasni Abidi, l’Iran fait l’unanimité contre lui par-dessus la ligne de faille israélo-palestinienne.
En Israël, l’Iran est carrément désigné comme une menace existentielle. Il est vrai que dans ses discours, le président Ahmadinejad n’a de cesse de prophétiser la disparition de l’Etat hébreu. Une posture populiste selon Yann Richard, professeur à la Sorbonne nouvelle et spécialiste de l'Iran, qui estime que les pays occidentaux devraient traiter la question du nucléaire iranien de la même manière qu’ils ont traité celle du nucléaire pakistanais, indien et israélien. Des Etats qui n’ont jamais signé le Traité de non prolifération (TNP) mais qui sont admis dans le cénacle atomique officiel pour les deux premiers, officieux pour Israël. Yann Richard défend la revendication iranienne pour la levée des sanctions, estimant que la République islamique ne constitue pas un danger en dépit des péroraisons anti-israélienne d’Ahmadinejad.
Le nucléaire israélien en question
Téhéran instrumentalise la question palestinienne pour plaire aux foules arabes en se présentant comme l’ami du Hamas et comme le principal défenseur de la cause. Pour Yann Richard, le vrai problème, c’est la position régionale de l’Iran, « puissance nucléaire virtuelle » dont les pays occidentaux ne veulent pas à la différence du Pakistan où « un extrémiste pourrait décider d’appuyer sur le mauvais bouton ». L’idée de « deux poids, deux mesures », c’est aussi ce que plaide l’Iran, à sa manière souvent provocante.
En retour, Téhéran accuse les services israéliens et américains dans l’affaire du virus informatique, mais aussi dans deux attentats qui ont fait un mort et un blessé à Téhéran la semaine dernière. Les victimes seraient des membres du programme nucléaire iranien inscrits sur les listes des sanctions de l'ONU. Et l'Iran a annoncé son intention de mettre la question du nucléaire israélien sur la table des discussions, à Genève. Une improbable diversion. Ses partenaires le laisseront sans nul doute se livrer à un monologue sur un sujet qu’aucun autre Etat n’a d’intérêt à relayer.
A son avènement, l’administration Obama avait ouvert un dossier Israël à la rubrique signature du TNP. Depuis, Washington s’est avisé de son peu de ressort en la matière. Et l’année prochaine ne sera pas vraiment plus propice à la résolution des questions qui fâchent au TNP. D’autant que l’heure sera aussi plutôt pour Washington à la consolidation de son arsenal nucléaire. A Genève, les « cinq plus un » vont donc sans doute comme d’habitude continuer d'exiger la preuve que le programme atomique iranien est pacifique, tout en réaffirmant le droit inaliénable au nucléaire civil d’une République islamique qui revendique une souveraineté atomique militaire, de principe, sinon de fait.