La filmographie égyptienne est très éclectique comme l’explique le cinéaste et critique de cinéma Fayez Ghali. Auteur notamment d’un The way to Ilat sur la guerre de 1973 qui avait fait l’ouverture du festival de cinéma du Caire en 1995, Fayez Ghali est copte et depuis 2006, il travaille sur une vie de Jésus enfant qui a reçu l’agrément des plus hauts représentants de l’islam et de l’Eglise orthodoxe copte mais qui peine à trouver un financement.
Fayez Ghali : Les scénaristes égyptiens peuvent écrire tout ce qu’ils veulent sur les musulmans ou sur les coptes. Mais ce film sur la vie de Jésus posait un problème spécial parce que l’islam refuse que l’on représente les prophètes au cinéma, au théâtre, à la télévision. Mais pour moi, en tant que chrétien, Jésus est mon prophète et je me suis dit que je pouvais faire un film sur lui et j’ai expliqué aux musulmans qui le critiquaient qu’ils ont leur religion, que j’ai la mienne et qu’on ne peut pas placer une religion au-dessus de l’autre. C’est ça la manière démocratique de vivre. Et finalement, après toute une série de « clashes » et d’explications, dans la presse - et à la télévision notamment qui s’était ruée sur le sujet – l’imam de la mosquée al-Azhar, le cheikh Tantaoui avait dit que c’était le droit des chrétiens.
RFI : Il vous avait donné le droit de représenter Jésus ?
Ghali : Oui, mais il avait conclu en disant que cette affaire ne devait pas venir devant les musulmans. Il a expliqué que si le film était soumis à l’approbation des musulmans, ils devraient le refuser. Je lui ai répondu que c’était en effet notre droit de chrétiens et que je ne lui demandais rien. De mon côté, j’avais obtenu l’accord de mon Eglise, l’Eglise copte.
RFI : Serait-il possible de diffuser un tel film en Egypte ?
Ghali : Ce n’est pas un problème ici. On peut montrer le film comme n’importe quel film étranger aussi. Le vrai problème, c’est l’argent pour produire le film. C’est un film qui met en scène Jésus enfant vers l’âge de six ans avec la Sainte Famille. Et leurs difficultés dans l’environnement social de l’époque. C’était au temps des Grecs et des Romains. Il y avait aussi des juifs qui vivaient là avec les anciens Egyptiens. Toute une société cosmopolite. Et ce genre de film, ça coûte vraiment très cher. Avec 20 millions de livres égyptiennes, vous pouvez faire un film sur un sujet de société. Mais pour un film historique, c’est plutôt cinquante ou cent millions. C’est un problème énorme pour nous.
RFI : Et pourquoi pas non plus des histoires coptes d’aujourd’hui, autour d’une famille par exemple comme on en voit par exemple dans les séries qui mettent en scène des Noirs américains ou des familles « beurs » en France ?
Ghali : Oui, on en trouve maintenant en Egypte aussi. Mais là, ce n’est pas avec les musulmans qu’il y a des difficultés. Le problème, c’est avec les chrétiens eux-mêmes parce qu’ils n’aiment pas du tout se montrer au cinéma. Ils prétendent que les chrétiens n’ont aucun problème dans la vie, ce qui est faux. Dans les films qui montrent la vie sociale des musulmans, on parle de tout. Des hommes, des femmes, du mariage, du divorce, de tout, absolument tout. Pourquoi faut-il donc mettre à l’écran des chrétiens qui ressemblent à des anges. On ne fait d’ailleurs pas vraiment de films en Egypte sur la façon de vivre des chrétiens. Ça ne se fait pas. C’est nouveau pour nous.
RFI : Cela indique peut-être que les chrétiens ne sont pas à l’aise dans la société égyptienne. Peut être qu’ils redoutent des problèmes avec leurs compatriotes musulmans ? C’est peut-être pour ça qu’ils ne veulent pas montrer ce qu’ils sont ?
Ghali : A mon avis, c’est une mauvaise manière de voir les choses de la part des chrétiens. C’est une erreur. Je ne sais pas exactement d’où ça provient. Mais j’entends sans arrêt des gens dire que les Coptes ont un problème. C’est vrai, nous avons un problème. Mais comment résoudre ce problème si on ne veut même pas se voir à l’écran. Pourquoi ça ? Pourquoi est-ce qu’on refuse que nos problèmes soient portés à l’écran ? Si on le fait, tout un tas de chrétiens vont se plaindre et demander pourquoi on les montre avec des problèmes entre mari et femme ou entre parents et enfants. Ça vient sûrement du fait qu’ils ont le sentiment d’être des citoyens de seconde classe…
RFI : Et cela alors qu’ils ont été un temps les premiers ?
Ghali : Non, je ne dirais pas ça. Je suis contre cette manière de penser qui ressemble à celle des juifs qui se réclament d’une loi de Dieu pour dire que la terre leur appartient et pour tuer des gens au nom de la religion. Ce que nous voulons, c’est que les musulmans, les juifs et les chrétiens puissent vivre sur la même terre. Mais ils disent que c’est seulement pour les juifs. Et ils exportent ce genre d’idée jusqu’ici. D’après eux, Israël est un pays réservé aux juifs et l’Egypte aux musulmans. Qu’est-ce que ça veut dire ? Depuis la fin du communisme et depuis le 11-Septembre, il y a eu un véritable tremblement de terre aux Etats-Unis. Tous les musulmans souffrent de ces Américains qui pensent qu’ils sont tous des terroristes. Donc pour nous, c’est très important de nous garder de ceux qui pensent que le monde doit être toujours en proie à des conflits.
RFI : Vous êtes contre l’idée d’un Etat théocratique. Alors justement, est-ce que ça vous inquièterait l’arrivée en Egypte d’un pouvoir islamiste des Frères musulmans par exemple ?
Ghali : Bien sûr, je refuse l’idée d’un parti égyptien fondé sur le christianisme comme celle d’un parti islamique. Je suis contre l’un et l’autre. Si on fait ça, cela signifie que notre société est brisée, de l’intérieur.