Dans la salle des momies du musée égyptien du Caire, les visages de l’ancienne Egypte ont des airs de famille avec les Egyptiens de la rue. C’est naturel mais c’est troublant. Dans ce carrefour de civilisations, les génotypes reviennent au gré des croisements humains. Pour le visiteur étranger, c’est sûr, les Ramses II sont encore légions. Quand aux Coptes, ça fait 2 000 ans environ qu’ils s’efforcent de se marier entre chrétiens. Et qu’ils soient chiffonniers, « zabbalines » des bas-quartiers du Caire ou grands bourgeois éduqués à l’Occidentale, ils se réclament de leur ascendance antique, sinon de leur primauté temporelle dans l’espace égyptien, ce qui serait non seulement un non-sens républicain mais aussi, de leur point de vue, une faute de goût.
Saint Marc le Libyen et Moïse l’Hébreu
Les Coptes ont été évangélisés tout de suite après la mort précoce ou plutôt la montée au ciel du Christ dont ils n’admettent pas la double nature divine et mortelle, simultanément, mais qu’ils conçoivent comme Dieu s’incarnant en l’homme ce qui en fait des « monophysites ». C’est un Libyen, saint Marc, l’un des quatre auteurs du Nouveau Testament de la Bible des chrétiens qui a fait le déplacement pour convertir les habitants de cette contrée qui avait du reste déjà reçu la révélation divine. C’est en effet dans la vallée égyptienne surplombée par le mont Sinaï que l’Hébreu Moïse aurait vu un « buisson ardent » et entendu en même temps la voix de Dieu.
A défaut de recensement précis, il faut se contenter des estimations officieuses qui évaluent les Coptes à 10% de la population. Une proportion inchangée depuis des lustres qui correspondrait aujourd’hui à une communauté copte d’environ sept millions de personnes alors que l’Eglise copte revendique 12 millions de fidèles et que selon la spécialiste, Sophie Pommier, deux millions de Coptes auraient quitté le pays. Entre 250 000 et 500 000 seraient notamment exilés aux Etats-Unis. Et cela pour des raisons économiques et non point pour cause de discrimination tient à faire savoir le cacique copte du parti présidentiel, l’homme d’affaires Aziz Hani, qui est aussi chargé de bons offices entre Eglise copte et pouvoir.
L’islam religion de l’Etat égyptien
A l’instar du régime Moubarak qui tient beaucoup à réfuter toute idée même de confrontation religieuse, Aziz Hani assure que les assassinats de coptes par des musulmans enregistrés début 2010 étaient le fait de fanatiques isolés qui avaient détesté l’idée de voir construire dans les parages une nouvelle église chrétienne. Aucune guerre de religion même virtuelle ne se profilerait en Egypte où le pouvoir applique une politique d’endiguement vis-à-vis du puissant mouvement islamiste des Frères musulmans tout en veillant à ce que rien ne vienne mettre le feu aux poudres musulmanes d’une République vouée à l’islam.
Côté institutions, la Constitution égyptienne prévoit l’égalité et la liberté religieuse en ses articles 40 et 46. Mais son article 2 établit l’islam comme « la religion d’Etat ». Côté pouvoir, le régime Moubarak veut surtout éviter des ennuis intercommunautaires qui pourraient lui nuire. Il a déjà assez à faire comme équilibriste allié des Etats-Unis eux-mêmes honnis par la majorité des musulmans égyptiens pour cause de conflit israélo-palestinien notamment. Et c’est sans doute ce qui a largement dicté son ordre de sacrifier les élevages de cochons des coptes lorsque le spectre d’une grippe porcine a fait frémir la planète début 2009.
Le sacrifice des cochons égyptiens
L’Egypte a payé l’un des plus lourds tributs du monde à la grippe aviaire dont le virus s’attaquent aux humains qui vivent dans une trop grande promiscuité avec leurs volailles comme c’est le cas en Egypte où l’espace vital viable manque. Mais poules et canards sont hallal. Ce n’est pas le cas du porc pour les musulmans. Et même si finalement l’Organisation mondiale de la Santé à retiré au virus H1N1 toute corrélation porcine, le gouvernement égyptien a voulu éliminer tout risque de voir des musulmans invoquer quelque courroux divin contre les mangeurs de cochon au moyen d’une quelconque transmission de maladie à l’homme. Le régime Moubarak a pris les devants en ordonnant l’extermination totale des porcs égyptiens, une race dont les Coptes avaient hérité des colons britanniques.
Le chiffre en circulation parle de 250 000 cochons abattus en deux mois, les femelles et les porcelets empoisonnés, les mâles égorgés dans les règles pour être consommés avant que le trop plein de viande avariée ne soit détruit par le feu. Bien malin qui aura pu les compter entre les barres d’immeubles du Caire où l’odeur des élevages porcins n’avait pas encore complètement disparu un an après le massacre. Mais surtout, nul n’a encore pris la mesure réelle de l’impact social et économique du massacre. Un désastre écologique aussi puisque les cochons d’élevage étaient nourris avec les restes alimentaires que les zabbalines coptes allaient ramasser chaque jour, tenant lieu d’éboueurs dans une capitale désormais livrée à des entreprises privées.
Pain bénit pour les entreprises privées
Les cochons rayés d’un trait de plume de la carte alimentaire copte et touristique – vingt millions de consommateurs de jambon et de côtelettes au bas mot –, la communauté chrétienne a été privée du jour au lendemain d’une source de revenus irremplaçables. Et cela sans véritables indemnisation ou solution de remplacement. Avec leur représentant syndical, Ibrahim Shahata qui a dû abattre 1 000 bêtes et se reconvertir dans le traitement des déchets solides, verre, cannettes et autres papiers, les anciens éleveurs demandent d’ailleurs que la reprise de leur ancienne activité soit autorisée puisqu’en fin de compte les cochons n’étaient pour rien dans la grippe A.
Restent des monceaux d’ordures ménagères. Un gisement fabuleux ouvert aux entreprises privées qui viennent d’empocher le marché du ramassage. Pour elles, la soi- disant grippe porcine aura été pain bénit si l’on ose dire. Mais dans l’ombre de leur patriarche, Chenouda III, les Coptes ont en majorité choisi de faire profil bas. D’autres jouent les utilités dans la classe politique, jusque dans les rangs des Frères musulmans qui pour leur part assurent qu’un président de la République copte ne les gênerait pas et que l’heure de la charia pour tous n’a pas encore sonné.
Certains coptes militent pour une réforme politique, à l’instar de George Ishak, le fondateur du mouvement Kefaya, ça suffit. Dans la région d’Assiout, il y aurait même des Coptes partisans d’un jihad chrétien. Mais en règle générale, et même si la montée en force des Frères musulmans les inquiète, les Coptes répugnent à souscrire à l’idée d’une question copte.