Le Wafd souhaite un régime semi-présidentiel voire parlementaire

Mahmoud Abaza est un ancien de l’université parisienne de la Sorbonne. Eduqué en langue française, au milieu du XXe siècle, à une époque où le vent de la libération nationale s’accommodait encore fort bien d’un cosmopolitisme bourgeois de bon aloi. Un fin lettré arabophone élevé dans la langue de Descartes. Il est l’un des principaux cadres dirigeant du Wafd, le Parti de la lutte pour l’indépendance égyptienne fondé sous l’occupation britannique par le juriste Saad Zaghlul. Parti nationaliste historique éclipsé par l’avènement de Gamal Abdel Nasser en 1954, il est aujourd’hui dans l’opposition parlementaire.

Mahmoud Abaza réside au Caire dans un hôtel particulier qui respire le bon goût occidental. Il était candidat à la présidence du parti, soumise au vote le 28 mai, mais ne se prononce pas sur la présidentielle de 2011. Il répond à Monique Mas sur l’état d’urgence qu’il décrit comme une mauvaise habitude, un système de gouvernement.

Mahmoud Abaza : Trente ans d’état d’urgence, ce n’est pas normal ! Quoiqu’en Egypte l’état d’urgence existait déjà même avant ces trente dernières années et il est toujours très difficile de se défaire des mauvaises habitudes. Mais je ne pense pas que des raisons objectives expliquent ce besoin du gouvernement de reconduire l’état d’urgence. Surtout qu’il avait promis de le remplacer par une loi antiterroriste, ce qui n’a pas été fait. Mais renoncer à ces pouvoirs exceptionnels, ça devient toujours difficile.

RFI : Est-ce que cela signifie qu’une alternance démocratique « tranquille » est impossible en Egypte ?

MA : Une alternance démocratique « tranquille » ? Les conditions légales et réelles ne sont pas réunies. Il est sûr aussi que le régime a été dépassé par l’évolution interne du pays et par l’évolution internationale. C’est ça le vrai problème. Ce qui est ne peut plus durer et ce qui devrait être n’a pas encore les conditions nécessaires pour paraître. Pendant plus de cinquante ans, nous avons eu un régime politique qui donne tous les pouvoirs au chef de l’Etat. Tous ! Et cette énorme concentration de pouvoirs en une seule main a empêché tout développement démocratique et économique. Par conséquent, cette formule, si elle était acceptable – je ne dirais pas valable mais acceptable – dans une période qui a suivi la libération nationale où on avait un projet panarabe, elle ne l’est plus aujourd’hui. Nous, nous proposons de passer à un régime plutôt parlementaire ou au moins semi-présidentiel, avec un pouvoir réel d’une part, mais aussi les contre-pouvoirs nécessaires. C’est ce que notre parti propose et c’est aussi ce qu’ont déjà expérimenté les Egyptiens entre 1923 et 1952, sous un régime parlementaire.

RFI : Au plan social et économique, après avoir été un temps « socialisante », l’Egypte s’est tournée vers le libéralisme. En même temps, la classe moyenne, jadis forte, paraît en voie de disparition ?

MA : Oui ! Nous connaissons ce que j’appellerais un libéralisme sauvage. C’est fréquent au passage d’un régime socialiste à un régime libéral. Il y a souvent des excès. Et ces excès sont très visibles en Egypte. Il y a une très grande différence entre les riches et les pauvres. Une différence énorme et qui grandit à vue d’œil ces dernières années ce qui crée une tension sociale extrêmement sensible. Partout il y a davantage de pauvreté et en même temps l’apparition d’un luxe inédit, qui n’existait pas même sous la monarchie égyptienne. C’est nouveau en Egypte cette très grande différence entre les classes sociales qui conduit effectivement à l’effritement de la classe moyenne. Celle-ci s’était construite en Egypte sur l’éducation. Elle a disparu au profit d’une nouvelle classe moyenne née du marché noir et de la différence du taux de change. Il s’agit par exemple de gens qui travaillaient dans les pays du Golfe au moment où la livre égyptienne a dégringolé alors que les autres monnaies montaient. Ce n’est plus du tout la classe moyenne « des Lumières ».

RFI : Vous voulez dire une sorte de classe de « parvenus » qui ne s’intéresse pas beaucoup à la culture au sens large ?

MA : Oui, sans grand intérêt pour la culture mais aussi avec d’autres dangers. C’est un nouvel esprit très différent de celui de l’ancienne classe moyenne qui avait formé la colonne vertébrale de l’Egypte moderne. Tout cela entraîne des frictions parce que comme je vous l’ai dit, la formule politique actuelle n’est plus vivable et il n’y a pas encore un consensus autour d’une nouvelle formule politique claire. Par conséquent nous sommes en pleine période d’ébullition. Mais, les Egyptiens, après tout, c’est un peuple sage, qui a beaucoup souffert, qui a une très grande expérience historique et qui va arriver à un nouveau consensus autour d’un système qui ne sera certainement pas idéal mais qui ne sera sûrement pas non plus un régime à l’Iranienne ou quelque chose comme le régime russe post-soviétique…

RFI : …Ou encore sur le modèle du régime al-Assad père-fils de Syrie ? Puisque visiblement le président Moubarak, s’il est obligé de passer la main pour des questions d’âge, il paraît vouloir le faire au profit de son entourage et notamment de son fils ?

MA : Je n’ai jamais cru à cette solution. Il y a des gens qui y pensent. Mais, techniquement, c’est très difficile en Egypte. En Syrie, les Alaouites, c’est une minorité au pouvoir, en Egypte c’est différent. L’armée égyptienne est une armée nationale. Elle l’a toujours été. C’est une des plus anciennes armées modernes du monde puisque lorsque Napoléon a créé l’armée moderne au début du XIXe siècle en France, Mohamed Ali l’a créée en Egypte treize ans après seulement. Donc en réalité, c’est une très vieille armée. Elle est nationale, elle est légaliste, elle est très respectée en tant qu’institution.

RFI : Elle est très choyée aussi par le régime. Cela se remarque au Caire où tout ce qui est militaire siège dans un bâtiment bien entretenu et souvent même très soigné voire flambant neuf.

MA : C’est vrai. Elle est derrière le régime. Elle en est même le principal soutien. Mais ce n’est pas du tout une armée qui participe à la politique en tant que telle. Par conséquent, le scénario syrien ne paraît pas possible en Egypte.

RFI : Certaines personnalités, comme l’ancien président de l’Agence de surveillance atomique, Mohamed el-Baradei, ou comme le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, sont présentés comme des candidats potentiels à la présidence de la République parce qu’ils bénéficient d’une grande respectabilité internationale, c’est-à-dire quand même d’un crédit extérieur à l’Egypte. Sont-ils des candidats vraisemblables ?

MA : Selon les règles constitutionnelles actuelles, c’est difficile. Maintenant est-ce qu’on aura le temps de changer les règles constitutionnelles avant les élections, c’est une autre question. Mais à mon avis ce qui est important c’est que jusqu’à maintenant on ne peut pas dire qu’il y a un consensus national autour d’une solution donnée.

RFI : La présidentielle c’est l’année prochaine, ce n’est plus très loin, croyez-vous possible de trouver un consensus d’ici là ?

MA : Je crois que c’est possible avec deux conditions. D’abord que les gouvernants comprennent qu’il s’agit d’une situation extrêmement sérieuse et qu’ils ne prennent pas l’apparence pour la réalité. Et d’autre part que les oppositions soient capables de présenter un programme qui assure un changement crédible et en même temps sécurisant pour le peuple égyptien qui n’est pas très aventureux et qui ne donnera de chèque en blanc à personne après cette expérience des cinq dernières décennies.

 

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