En Egypte, fin de règne sous état d'urgence

Alors que son cinquième mandat se termine en 2011, le président Hosni Moubarak prolonge de deux ans l'état d'urgence dont il a hérité en 1981 après l'assassinat du président Sadate. A bout de souffle, son régime autocratique se cherche un successeur pour empêcher une éventuelle alternance alors que l’opposition, toutes tendances confondues, la jeunesse, l’intelligentsia laïque comme les Frères musulmans, pourraient s’entendre sur une candidature unique. Monique Mas de RFI revient d’Egypte, où du Caire à Alexandrie en passant par le delta du Nil, la crise sociale menace de servir d’arbitre politique.

« Moi - mon fils Gamal ou un proche – sinon le chaos ! » C'est en substance la réponse du président Hosni Moubarak aux Egyptiens qui réclament un peu d'air politique sinon un changement radical. Son mandat présidentiel prend fin l'année prochaine, après des législatives en septembre 2010. Mais il a décidé que l'Egypte restera soumise au régime d'exception dont il a hérité il y a trente ans, en 1981, après l'assassinat du président Sadate, par un membre du Jihad islamique.

Un pouvoir indifférent au bien public

Pour justifier des lois d’exception qui lui permettent de restreindre à sa guise l’ensemble des libertés politiques, le pouvoir use du même leitmotiv depuis des lustres, il invoque la lutte contre le terrorisme et contre la drogue et promet de légiférer avant de renoncer enfin à l’état d’urgence. En attendant l’hypothétique changement dont rêve l’opposition, d'un bout à l'autre de l'échiquier politique, une rapide traversée du Caire donne la mesure de l’insouciance ou de l’incurie des pouvoirs publics à l’égard des besoins de première nécessité de leurs administrés.

Sans parler du besoin d’air dans une capitale asphyxiée par des embouteillages bruyants à rendre sourd du matin au soir, sans parler des immeubles hors d’âge qui s’effondrent régulièrement avec leurs cargaisons d’humains, sans parler des habitants bien vivants des cimetières en l’occurrence squatters de la cité des morts, sans parler des wagons des trains régionaux  jamais révisés ni même nettoyés, sans parler bien sûr du prix du pain et de la crise sociale qui a provoqué des émeutes en 2008, il suffit de se faire piéton au Caire pour réaliser, la peur au ventre, la stupéfiante rareté des feux de signalisation, agent de police et autres passerelles ou robots chargés d’assurer la survie du risque-tout amené à traverser une rue, ou même une de ces bretelle d’autoroute qui quadrillent la ville.

Des ruraux en ville

Les chauffards tuent beaucoup plus souvent en Egypte que les terroristes. Et en la matière, la capitale est effectivement dangereuse. Entre Nil et désert, 20 millions d’Egyptiens vivent au Caire. Grande comme deux fois la France (un peu plus d’un million de kilomètres carrés), l’Egypte compte en effet à peine 4% de terres arables. Et ses quelque 74 millions d’habitants  se sont entassés au plus près du fleuve-roi, les champs cultivés avec soin arrivant aux pieds des barres d’immeubles. Si l’agriculture occupe officiellement moins de 30% de sa population active et les services 49 %, l’Egypte n’en apparaît pas moins comme un pays de ruraux logés dans la cité géante qui s’accroche aux rives du Nil.
 

En circulant sur les parties aériennes des autoroutes de la capitale, il est fréquent d’entrapercevoir en contrebas des carrés de jardinets mais aussi des poules, moutons et autres bestiaux. L’odeur des élevages de porcs est même restée du côté de la Citadelle. Leur extermination au début de l’année a aussi renchéri les prix de la viande de bœuf vers laquelle se sont tournés les mangeurs de cochon, Coptes et touristes.

En avril 2008, la crise du pain avait provoqué des émeutes jusque dans le delta nourricier du Nil. La rue étant ce qu’il craint vraiment le plus, le pouvoir avait alors mis un frein à la libéralisation des prix du pain. Il a donc maintenu le système de subventions hérité de l’époque socialiste. Mais ce pain vendu à tarif réduit ne couvre pas les besoins de la population que l’appauvrissement a justement conduit à renoncer à une alimentation variée pour se contenter de pain.

Comme l’explique un habitant de la région de Mansura par exemple, des cartes de rationnement permettent à chaque famille d’acheter « tous les deux jours dix pains au tarif subventionné de cinq piastres pièce. Ça fait 5 pains par jour. Ça ne suffit pas du tout. Surtout que chaque famille compte de cinq à dix personnes » et chacun de ces pains ne représente en fait qu’une ration.

L’arbitrage social

Après trente années de pouvoir sans partage, le régime Moubarak aime à se donner des airs démocrates. Tant que les revendications restent corporatistes ou purement fonctionnelles, les pères de famille condamnés au chômage peuvent clamer leur désolation sur le parvis de l’Assemblée du Peuple. Mais gare aux militants politiques qui voudraient faire la jonction des luttes. Le régime Moubarak n’aime pas non plus être filmé lorsque ses forces de l’ordre en tenue d’été dispersent- sans ménagement pour leur tenue blanche- le « sit in » de travailleurs en perdition. Malheur à ceux-ci lorsqu’ils utilisent un vocabulaire politique.

Entreprises qui changent de main ou fermetures pure et simple, le bulldozer de la privatisation est redoutable, avec ou sans dessous de table. Comme le dit Mahmoud Abaza, cadre dirigeant du Wafd, l’opposition parlementaire,  « c’est la première fois que l’on voit une telle différence entre les classes sociales qui conduit à l’effritement de la classe moyenne construite en Egypte sur l’éducation. » D’après lui, cette classe moyenne « des Lumières » est remplacée par une « classe du marché noir et de la différence du taux de change », celle des Egyptiens qui travaillent dans les pays du Golfe et qui ont profité de l’effondrement de la livre égyptienne.  

Des lendemains incertains
 

« Ce qui est n’a plus lieu d’être et ce qui doit advenir n’est pas encore là », souligne Mahmoud Abaza. « L’injustice, l’autoritarisme, l’oppression, la pauvreté, la torture, les emprisonnements politiques, la censure, le vol de l’argent public, la vente des entreprises publiques, tout ça, ça suffit ! Assez ! » lancent les militants du mouvement Kefaya, Assez, en arabe égyptien. Hors les allées du pouvoir, c’est un avis qui semble très partagé. Et d’une certaine manière, côté pouvoir, c’est aussi l’indécision qui domine, en tout cas concernant  la personne du successeur d’Hosni Moubarak, de retour de Berlin où il a subi une intervention chirurgicale.

Moubarak fils, Gamal, n’a pas encore été nominé pour une succession dynastique à la manière de la Syrie, un scénario auquel Mahmoud Abaza ne croit d’ailleurs pas. D’autres noms circulent comme celui du chef des renseignements qui gère aussi le dossier israélo-palestinien, Omar Souleiman, ou encore le pedigree flatteur du patron de l’aviation civile, Ahmed Shafiq.

De son côté, l’opposition non plus n’a pas encore confirmé le candidat unique qu’elle recherche. Mais comme le souligne Abd Almoniem Abd Almaqsoud, l’un des avocats de la confrérie, « pour nous, le plus important, ce n’est pas qui est candidat, c’est la qualité du scrutin. Les Frères musulmans ne cherchent pas à gouverner. Ils visent seulement à participer à la vie politique pour réformer l’Egypte. Nous ne présenterons donc pas de candidat à la présidentielle. Mais éventuellement nous soutiendrons le candidat d’un autre parti ».

L’heure n’est pas à la charia pour tous

L’heure n’est pas à la charia pour tous et au régime islamiste dans cette Egypte où les Frères musulmans cohabitent avec des partis politiques non religieux et avec des chrétiens coptes. La répression, mais aussi le contre exemple algérien ou la compétition des Gama’at Islamiya inspirées par la guérilla afghane expliquent sans doute le commentaire d’Abd Almaqsoud : « Il y a aussi des oppositions à l’intérieur du pays comme à l’extérieur qui ne nous permettent pas de gouverner. Ailleurs, dans d’autres pays, il y a eu des antécédents avec des mouvances violentes. Cela nous a porté préjudice ».
 

Pour les Frères musulmans, le candidat derrière lequel faire front commun avec le reste de l’opposition pourrait être l’ancien président de l’AIAE, l’Agence internationale de surveillance atomique, Mohammed El-Baradei. De retour depuis quelques mois en Egypte, il avait posé l’abolition de l’état d’urgence comme condition à sa candidature à la présidentielle de 2011. Les lois d’exception reconduites, sera-t-il candidat ? Il reste en tout cas l’homme providentiel de la jeunesse égyptienne. Celle qui du Mouvement du 6 avril qui, en 2008, a participé à la formation sur internet du premier groupe de soutien à la grève des travailleurs de l’industrie textile de la région de Mahallah. Aujourd’hui, elle milite avec l’Association nationale pour le changement d’El-Barade.

Elbaradeï2011.com
 

70 000 copains d’El-Baradei se sont regroupés sur Facebook. La profession de foi d’El-Baradeï est proposée à la signature sur elbaradeï2011.com et une pétition l’appelle à se porter candidat sur taghyeer.net. Une révolution technologique certes. Mais il n’est pas sûr que le réseau Egypt-Tweet créé par un jeune avocat de 22 ans, Mohamed Atef, soit de taille à soulever le vent de changement dont il rêve. De leur côté, les chefs de l’opposition veulent procéder par étape, à commencer par une réforme des institutions suivie d’une transition de 24 mois, le temps d’organiser un scrutin libre et juste.
 

Le régime Moubarak compte sur l’état d’urgence pour verrouiller les portes de l’alternance. Et comme le dit Ayman Nour, le fondateur du parti Al-Ghad, le futur : « Tous les scrutins sont truqués. Sinon nous n’aurions ni Hosni, ni Gamal Moubarak. Même les singes du zoo le savent ». Ayman Nour vient de passer quatre ans en prison pour avoir osé entrer dans la joute présidentielle, en 2005, contre Moubarak.
 

 

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