Depuis 2005, les Frères musulmans occupent quand même plus de 20% des sièges de l’Assemblée du Peuple où des candidats de leur obédience ont été autorisés à se présenter « sans étiquette ». Une manière pour le régime Moubarak de ravaler sa façade démocratique tout en prenant soin par ailleurs de rejeter les dossiers de candidature « en trop » et de jouer de la détention préventive pour intimider ses adversaires. C’est ainsi qu’Issam al-Erian a été arrêté pour la septième fois en février dernier et détenu pendant deux mois, comme il en a fait le récit à Monique Mas de RFI, au Caire, dans son vaste appartement familial.
RFI : La dernière fois par exemple, quels motifs ont été invoqués pour justifier votre emprisonnement ?
Issam al-Erian : Il n’y a jamais de vrais motifs. Habituellement nos persécuteurs nous accusent de diriger une organisation de Frères musulmans. Nous n’avons jamais été accusés de terrorisme par exemple. J’ai d’ailleurs été membre de l’assemblée du Peuple pendant trois ans et demi. Et je ne suis pas seulement un homme politique. Je tiens une rubrique hebdomadaire dans un journal et j’écris dans un quotidien. Mais ce qu’ils me reprochent, ce sont mes activités dans la confrérie.
RFI : Comment surviennent ces arrestations ?
IA : C’était différent à chacune de mes arrestations. Une fois par exemple, ça s’est passé de manière extrêmement violente. La porte d’entrée de cet appartement, et même toutes les portes de l’immeuble, ont été défoncées. Ils ont fait irruption le matin. Les enfants de ma fille étaient là. Ils étaient terrifiés. Une autre fois j’ai été arrêté alors que je marchais dans la rue. Il m’est même arrivé d’être arrêté chez des amis qui m’avaient invité à déjeuner. Par deux fois, ça s’est produit au petit matin. La dernière fois aussi, j’ai été arrêté après minuit. Je dormais. Ils m’ont tiré du lit pour me conduire au poste de police. Le troisième jour, je suis passé devant le procureur, à Nasr City. Je suis finalement sorti sur une ordonnance de justice. Mais il y a des prisonniers politiques détenus sans jugement depuis treize ans pour certains et d’autres qui ont purgé leur peine depuis cinq ou sept ans mais qui restent en prison. Ceux-là appartiennent à des groupes radicaux.
RFI : Pourtant le régime Moubarak a laissé des Frères musulmans entrer au Parlement sous l’étiquette d’indépendants. Il joue une sorte d’« équilibre de la terreur » ?
IA : Je crois que le régime Moubarak a un grave problème parce qu’il est arrivé il y a trente ans sous l’état d’urgence et qu’il est en train de se terminer dans l’état d’urgence. Et toute la classe politique rencontre le même problème. Même l’opposition légale officialisée par le régime. Elle ne peut pas descendre dans la rue. Elle ne peut pas tenir de meetings. Donc je pense que ce n’est pas un « équilibre de la terreur ». C’est une terreur exercée par le régime sur le peuple d’Egypte tout entier. Pas seulement sur les Frères musulmans où sur les militants de l’opposition. Tous les Egyptiens souffrent de ces lois d’exception. D’autant que les investissements étrangers ne peuvent pas venir dans un tel pays parce que l’état d’urgence signifie tout simplement l’instabilité !
RFI : En même temps c’est une preuve de faiblesse cette incapacité à gouverner sans état d’urgence ?
IA : Exactement ! Trente ans de lois d’exception cela marque la faiblesse, l’instabilité et le manque de confiance dans vos propres gens. Parce que si vous êtes sûr de votre pouvoir, vous acceptez des élections libres et justes. Personne ne peut croire à des élections libres sous état d’urgence !
RFI : Comment voyez-vous ce qui va suivre et en particulier la prochaine présidentielle ?
IA : Nous sommes dans le brouillard et personne ne sait le matin ce que l’Egypte va devoir affronter le soir. Personne ne sait qui va pouvoir être le prochain président de la République. Est-ce que ce sera Hosni Moubarak, ou bien son fils Gamal, même le parti au pouvoir ne peut pas se déterminer et prendre une décision sur le nom qu’il va promouvoir dans cette compétition. Du coup, tous les partis d’opposition hésitent sur leur propre participation. De notre côté, nous, les Frères musulmans, nous avons clairement dit que nous n’irons pas dans une présidentielle de ce genre. Et cela même si nous en avions le droit. Nous attendons de connaître les candidats et leur programme pour décider qui nous allons éventuellement soutenir.
RFI : Est-ce que ça signifie que les Frères musulmans ne sont pas prêts à diriger le pays et qu’ils peuvent soutenir par exemple un candidat comme Mohammed El-Baradei ?
IA : Je crois que Baradei n’a pas encore pris sa décision. Ce qu’il veut – et nous aussi – ce sont des réformes qui puissent changer les règles du jeu politique en Egypte. Parce que les règles actuelles ont été fabriquées expressément pour garantir au parti du président qu’il gardera le pouvoir en Egypte, pour l’éternité. Et bien sûr ce n’est pas de la démocratie. Pour Monsieur Baradei, ainsi que pour son Organisation pour le changement qui est notre partenaire, l’objectif c’est de modifier certains textes de la Constitution pour pouvoir organiser des élections législatives et présidentielle libres et justes.
RFI : L’idéologie des Frères musulmans fait peur en Egypte, à la communauté des chrétiens coptes par exemple. Comment pensez-vous pouvoir régler ce problème ?
IA : Je ne crois pas que nous faisons peur dans notre pays ou même à l’étranger. J’ai des amis coptes, des chrétiens. Avant, il y avait aussi des juifs et mes grands-parents étaient amis avec eux. A l’étranger aussi, un peu partout, nous avons plein d’amis, des universitaires aussi bien que des militants politiques. A mon avis, tout ça, ce sont des stéréotypes fabriqués par les médias, mais aussi par certains intellectuels et certains hommes politiques aux Etats-Unis et en Europe depuis la disparition de l’Union soviétique comme ennemi principal. Ils se sont inventés un nouvel ennemi. Et en réalité, ce ne sont pas les Frères musulmans. C’est l’islam lui-même ! Moi je pense qu’ils doivent revoir leur opinion sur l’islam et sur les Frères musulmans. Nous sommes un mouvement non-violent. Nous n’avons commis aucun crime.