Il y a une leçon à retenir quand on passe un mois d’août à Edimbourg : se frayer un chemin sur le Royal Mile relève de l’impossible. La longue avenue qui sépare les deux châteaux d’Edimbourg est non seulement noire de monde, mais les artistes, tracts à la main, ont pour mission d’attirer le plus de spectateurs possible à leur représentation. Pour les visiteurs, cette agitation et cette foule inhabituelles font le charme de la capitale écossaise en août. Pour les résidents, l’excitation des premiers jours se transforme rapidement en agacement.
Le 1er août donne le coup de départ du Fringe. Le festival, créé en 1947, ne cesse de grossir. Avec près de 3 200 spectacles et plus de 49 000 représentations dans 300 salles différentes, le Fringe est la plus grande manifestation artistique au monde : la comédie est le genre qui domine ces trois semaines de festival, mais les troupes de théâtre, de comédies musicales, les poètes et les écrivains viennent diversifier l’offre.
2014, année du « Homecoming »
La 67e édition du Fringe, la plus grosse de son histoire, a lieu pendant une année très importante pour l’Ecosse. 2014 est l’année du Homecoming, où tous ceux qui ont une connexion avec le pays sont invités à revenir pour célébrer sa culture, et Glasgow vient d’accueillir les Jeux du Commonwealth. Mais par-dessus tout, c’est l’année où les Ecossais devront décider si, 307 ans après l’Acte d’Union qui a marqué leur entrée dans le Royaume-Uni, ils veulent désormais être indépendants.
Une quarantaine de spectacles ont le référendum, qui se déroulera le 18 septembre, comme thème principal. Quasiment tous affichent un parti pris pro-indépendance. C’est le cas de The Pure, The Dead and The Brilliant, créé par Alan Bissett, l’un des porte-paroles culturels pour la campagne du « oui » à l’indépendance. Le dramaturge met en scène les personnages du folklore écossais, qui craignent que l’Ecosse, avec l’indépendance, se détourne de son passé et de ses mythes.
Plus tard, ils réalisent que leur survie dépend de celle du pays, et décident donc de rejoindre la campagne du « oui ». Dans le même camp, Bruce Fummey, venu de Perth, à 70 kilomètres d’Edimbourg, présente tous les soirs au Beehive Inn, un pub du centre-ville, son one-man show explicitement intitulé Aaah’m votin YES (« Je vote oui »). Pendant une heure, le comédien afro-écossais donne tous ses arguments en faveur de l’indépendance, tout en dénonçant ceux de la campagne adverse. « Le 18 septembre, il n’y aura qu’un pays qui survivra, explique-t-il. Soit le Royaume-Uni tel qu’on le connaît mourra, soit l’Ecosse disparaîtra. Je ne pourrai jamais accepter que mon nom soit associé à cela. C’est pour cela que je voterai "oui". »
Voter de manière « responsable »
Au contraire, les voix qui soutiennent ouvertement le maintien de l’Ecosse dans l’Union sont rares. Erich McElroy se félicite d’en être une, peut-être la seule du Fringe. Originaire des Etats-Unis et Londonien, il est devenu Britannique en 2007, « l’année où le Scottish National Party [ le parti national écossais, pro-indépendance, NDLR] a été pour la première fois majoritaire au Parlement écossais », souligne-t-il dès le début de son spectacle. « Je veux que l’Ecosse reste, car si elle part, alors peut-être que le Pays de Galles voudra partir, que l’Irlande du Nord voudra partir, peut-être que les Cornouailles voudront aussi leur indépendance », plaide-t-il dans The British Referendum. Le comédien veut dire aux Ecossais que le vote du 18 septembre aura des implications bien au-delà de l’Ecosse, et que tous ceux qui pourront s’exprimer dans les urnes devront le faire de manière responsable.
Sur ce point, les comédiens du Scottish Youth Theatre le rejoignent. La troupe, qui présente Now’s The Hour au Stand Comedy Club, est exclusivement constituée de jeunes entre 16 et 18 ans, qui auront le droit de voter en septembre. « Avant ce projet, je n’y connaissais rien et je me disais que je m’en fichais. Mais maintenant, je me rends compte qu’il faut que je m’y intéresse, et je veux que tout le monde fasse la même chose car cela concerne le pays dans lequel nous vivons », déclare Scarlett Randle, l’une des actrices.
« Être Écossais »
La troupe, dirigée par Fraser MacLeod, propose des sketches qui encouragent le public à s’informer et à réfléchir sur leurs aspirations pour le futur de leur pays. Au-delà des grands thèmes du débat sur l’indépendance, que ce soit la monnaie ou l’éducation, la pièce aborde la question complexe de l’identité. Qu’est-ce que cela signifie, d’être Ecossais ? Pour Zack Norwood, originaire de Glasgow, « être Ecossais, c’est avoir un grand sentiment d’intégrité, de communauté et d’égalité. Nous traitons tout le monde de la même manière et nous ne prêtons pas d’importance aux différences ».
Pour d’autres, c’est la culture et son évolution qui importent. « Nous n’avons pas la liberté de choisir nos propres politiques, alors nous nous exprimons à travers notre culture », affirme Keiran Gallacher, fervent supporter de l’indépendance. « Nous avons une culture qui adopte beaucoup, ajoute l'une des actrices. Maintenant, on considère le curry comme un élément national, et ma mère prépare du haggis pakora ! On a pris ce qu’on aimait des autres cultures et désormais cela fait partie de nous. » Fraser MacLeod, le directeur artistique, acquiesce. « On modernise, on remet au goût du jour. Mais il y a toujours une place pour la tradition, nous gardons une identité forte. »
En parallèle du Fringe, les meetings, débats, tractages et porte-à-porte se multiplient pour mobiliser les électeurs. A la fin du festival le 24 août, il restera à peine plus de trois semaines pour que les partisans de l’union sécurisent une victoire, ou que les indépendantistes renversent la tendance des électeurs qui, selon les derniers sondages, leur sont toujours défavorables.