À six mois du référendum, impossible à Édimbourg de passer à côté du débat sur l’indépendance. Dans la capitale écossaise, la cause indépendantiste s’affiche partout et de toutes les manières : dans les Meadows, le grand parc du centre-ville, où une jeune femme porte une sacoche bleue marquée d’un grand Yes blanc aux couleurs du drapeau écossais ; au détour d’une ruelle de la vieille ville, où un groupe d’étudiants arbore des badges Yes multicolores sur leurs manteaux. C’est pour mieux rappeler que 18 septembre prochain, ceux qui ont élu domicile dans le pays devront choisir entre le Royaume-Uni ou l’autodétermination.
Dans le camp des pro-indépendance de Yes Scotland, la stratégie est de fédérer un réseau de soutiens hyper-locaux dans les différentes sphères de la société. Depuis plusieurs mois, un groupe fait beaucoup parler de lui : c’est le National Collective, mouvement non-partisan qui rassemble environ 2 000 artistes et professionnels du monde du spectacle qui veulent voir une Écossaise indépendante.
Une politique écossaise passionnante
« On est en train de revigorer la politique en Écosse, elle devient passionnante », explique Alan Bissett, écrivain originaire de la région de Falkirk, au nord-ouest d’Édimbourg, et ambassadeur culturel du National Collective. « Je participe à de nombreux évènements dans le pays, et à chaque fois, des centaines de personnes se déplacent pour nous écouter. Cela montre que l’on a de l’énergie et de la force. » Pour Lesley Riddoch, écrivain et journaliste de la ville de Perth, au nord de la capitale, les artistes apportent un nouveau souffle à la campagne. « Ce que les artistes apportent, c’est de la passion. Ils ont un spectre de réflexion plus large, et ont le courage d’espérer et de ne pas avoir peur. »
Les indépendantistes peuvent se vanter d’avoir une longue et prestigieuse liste de soutiens dans le monde des arts et du divertissement. Parmi les plus renommés, Annie Lennox, chanteuse d’Eurythmics originaire d’Aberdeen, Alan Cumming, qui a notamment joué dans Golden Eye et The L World, Irvine Welsh, l’auteur de Trainspotting, Peter Mullan, acteur et réalisateur, et le plus connu d’entre eux, l’ancien James Bond, Sean Connery. Au contraire, très peu d’entre eux disent être du côté de la campagne Better Together, qui appelle à voter non en septembre prochain. « Je suis ma propre patronne, j’ai quitté la BBC, créé un think tank, dirigé une association caritative… Donc, pour moi, l’idée d’avoir beaucoup plus de responsabilités en tant que pays ne me paraît pas si effrayante, raconte Lesley Riddoch. Cela dit, les unionistes ont aussi des écrivains connus dans leurs rangs, et d’ailleurs ils ont souvent plus de succès. On peut dire que ce sont des gens qui ont quelque chose à perdre », ironise-t-elle.
Des études d'opinion contrastées
Cependant, les études d’opinion ont majoritairement montré une méfiance des Écossais pour la séparation : avec 20 points d’écart dans les sondages entre le oui à l’indépendance et le non et au moins 10 % d’indécis, les indépendantistes ont encore beaucoup à faire pour espérer inverser la tendance. « On est à un point de bascule », affirme Jean Urquhart, élue régionaliste au Parlement écossais pour la circonscription des Highlands et des Iles du nord-ouest. « Les arguments du oui sont de mieux en mieux accueillis, et c’est aussi grâce à la mobilisation des artistes qui sont sur le terrain. Ils sont au plus près de la terre, des rues et des pubs. »
Mais dans les débats, ce sont les problématiques économiques et sociales qui occupent la plus grande place. Pour les partisans du non, ce ne sont pas des sujets sur lesquels les artistes sont qualifiés pour s’exprimer. Alan Bissett n’est pas de cet avis. « Nous ne voulons pas que la campagne se résume à des statistiques. Qu’est-ce que serait un débat sans émotion ? Si nous pouvons faire des films ou des livres qui parlent au cœur des gens, alors c’est ce que nous pouvons apporter de mieux à cette campagne. On parle d’économie, de société, mais aussi d’identité. »
Pour Jean Urquhart, c’est précisément pour cela que l’implication des artistes est vitale. « Nous dépendons des artistes pour savoir qui nous sommes. Que serions-nous sans la littérature et la peinture ? La dernière chose qu’ils veulent, c’est d’être traités de romantiques. Ils sont réalistes, critiques, mais aussi sensibles », ajoute-t-elle.
Une indépendance « inimaginable »
En cas de victoire du oui, l’indépendance effective de l’Écosse aurait lieu en 2016. « Je sais que je voterai oui, mais paradoxalement, c’est le seul scénario que je n’arrive pas à imaginer. Cela dépasserait mes rêves les plus fous », explique Lesley Riddoch. « Je suis sûr que le oui l’emportera, dit Alan Bissett, débordant d’optimisme. Mais ce que j’attends le plus avant le référendum, c’est le Festival d’Édimbourg, le plus grand festival d’art au monde. A un mois du scrutin, cela va être très intéressant. J’y présenterai une pièce de théâtre, The Pure, The Dead and the Brilliant, pour l’indépendance. Tout le pays et même le monde entier regarderont ce festival pour savoir ce que pensent les artistes. Ce sera incroyable », conclut-il.
Pour la députée Jean Urquhart, en cas de victoire, il faudra remercier en premier les artistes. « Dans l’Écosse d’aujourd’hui, les artistes sont peu soutenus. On sait très bien citer Robert Burns, mais c’était il y a trois cents ans. Il est temps de laisser la place aux poètes d’aujourd’hui, et j’espère que dans trois cents ans, on parlera encore de ceux qui ont contribué à l’indépendance de l’Écosse. »