Les scandales se multiplient au sein de l’armée colombienne. Rien que depuis le début de l’année 2014, on en compte déjà deux qui, à eux seuls, démontrent que le gouvernement ne maîtrise pas son armée. Le premier concerne la surveillance des échanges de mails et des conversations téléphoniques de membres des autorités impliqués dans les négociations de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), la guérilla marxiste. L’armée avait créé une cellule d’écoute qui ne s’occupait que de ça, sans en informer les autorités. Le second scandale, dénommé « Falsos positivos » ou « Faux positifs » avait été révélé en 2008, mais il a connu une nouvelle évolution en février dernier quand un réseau de corruption interne au sein de l’Armée de Terre a été mis à jour. Un système qui permettait à des militaires - accusés d’avoir fait exécuter des personnes présentées ensuite comme des rebelles morts au combat - d’acheter le silence de sous-officiers témoins de ces exécutions ou de faire pression sur des juges.
Juan Manuel Santos décidé à faire le ménage ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce manque de contrôle des autorités sur leurs forces armées : entre autres, la guerre que mène la Colombie depuis 1964 contre les Farc et d’autres groupes armés. L’armée colombienne a été utilisée par plusieurs présidents, qui ont placé des généraux qui leurs étaient fidèles à des postes clefs. Et forcément, lorsque s’achevait le mandat de l’un de ces présidents, plusieurs de ces cellules internes subsistaient. La présidence d’Alvaro Uribe (2002-2010) en est le parfait exemple. Aujourd’hui, bien qu’il n’existe aucune preuve tangible, beaucoup de spécialistes estiment que les derniers scandales seraient liés à des hommes mis en place par l’ancien président, ce qui ne semble pas impossible, même si l’intéressé s’en défend.
Que font les autorités pour remédier à cet état de fait ? Le président Juan Manuel Santos a été, et il est toujours à l’heure actuelle, victime des agissements d’une certaine partie de l’armée, notamment pour ce qui est des écoutes révélées début février par la revue Semana. Depuis, il semble s’être décidé à faire le ménage. Il a remanié la tête de l'armée après les dernières révélations sur le comportement de hauts responsables qui auraient touché des pots-de-vin. Le commandant des forces militaires, le général Leonardo Barrero, a ainsi été limogé suite à une conversation téléphonique interceptée par les renseignements, dans laquelle il injuriaitles juges. Un grand nombre de généraux et d’officiers ont dernièrement été écartés ou mis à la retraite de manière anticipée, ou encore ils font l’objet d’enquêtes militaires et civiles. Mais pour les familles de victimes, et la société colombienne en général, ces remaniements sont loin d'être suffisants. Certains réclament désormais la démission du ministre de la Défense, Juan Carlos Pinzon Bueno.
Les paramilitaires se finançaient avec l’argent de la drogue
Depuis près d’un an et demi, le gouvernement et les Farc négocient un accord de paix à La Havane (Cuba) pour mettre un terme à un conflit vieux de cinquante ans – le plus vieux d’Amérique latine. Si ce processus de paixaboutit, non seulement l’armée colombienne perdra de sa puissance mais en plus, elle ne pourra plus justifier certains de ses agissements sous le prétexte qu’elle est en guerre contre les Farc. Ce processus de paix est donc vu d’un mauvais œil par une certaine frange de l’armée - d’où notamment ces écoutes de négociateurs révélées au début du mois de février.
Et puis, il y la question de la drogue, et plus précisément de la cocaïne, qui peut expliquer le manque de contrôle du pouvoir politique sur l’armée. Armée qui a très longtemps été liée à des groupes paramilitaires dissouts depuis. Certains de ces groupes se finançaient avec l’argent de la drogue, et ils sont nombreux aujourd’hui, journalistes, experts en matière de lutte contre le narcotrafic, avocats et organisations non-gouvernementales à penser qu’une partie de l’armée gèrerait ce trafic. Il est donc difficile de parler de contrôle de l’armée par le gouvernement. Les autorités tentent depuis le début de l’année de reprendre la main, mais le processus risque d’être long et compliqué, surtout qu’en 2014, année électorale, l'armée aura comme souvent son mot à dire.