RFI : Georges Couffignal, je vous propose tout d’abord d'écouter ce reportage de Zoé Berri en Colombie. Le débat est axé sur la question du processus de paix avec la guérilla des Farc. Dans ces élections, un homme semble assuré d’obtenir un siège au Sénat, c’est l’ancien président Alvaro Uribe qui a dirigé le pays durant huit ans, de 2002 à 2010. Lui qui a affronté les Farc avec une fermeté sans précédent, est devenu le chef de file des opposants au processus de paix en cours avec les rebelles marxistes.
Il y a d'un côté Alvaro Uribe, c'est-à-dire le retour de l’ancien président dans le rôle de l’opposant, et puis il y a l’actuel président, Juan Manuel Santos, qui semble malgré tout en position de conserver sa majorité de centre-droit après ces législatives. Mais on le voit, ce scrutin se joue véritablement autour de la question du processus de paix avec la guérilla des Farc qui polarise la population colombienne.
Georges Couffignal : Bien sûr. C’est une situation tout à fait anachronique d’une certaine manière, que celle de la Colombie aujourd’hui, avec cette guérilla qui est là depuis plus de cinquante ans. Une guérilla qui a encore 8 000 hommes en armes, qui a frayé avec les narcotrafiquants pendant de très nombreuses années et qui probablement continuent à frayer. Elle est anachronique parce que partout ailleurs dans le continent latino-américain – et on pourrait dire en Europe en pensant à l’ETA en Espagne – ce type de révolte armée marxiste du temps des dictatures n’a plus cours. Et c’est d’autant plus étonnant, s’agissant de la Colombie, que les guérillas qui avaient fleuri sous des dictatures militaires ailleurs en Amérique latine, sont rentrées dans le rang politique très vite lorsque la démocratie est revenue.
Et on a des ex-guérilléros chefs d’Etat comme Dilma Rousseff au Brésil, aussi en Uruguay, demain sans doute au Salvador. Et ces guérillas – il n’y a jamais eu de dictature militaire en Colombie – qui était née à un moment de fermeture complète du système politique n’a plus de raison d’être, aujourd’hui elle est complètement anachronique.
Mais pourtant elle subsiste. Pour quelles raisons ?
Parce que d’une part, le territoire colombien est extrêmement accidenté, compliqué, etc. D’autre part, l’Etat est très peu présent dans toute une série de parties du territoire, parce qu'aussi la Colombie est le premier ou le second producteur de cocaïne dans le monde – ça varie avec le Pérou, tantôt c’est l’un, tantôt c’est l’autre – et qu’il y avait une collusion parfaite entre les narcos et les guérilleros.
Et aujourd’hui donc, il y a des négociations de paix qui se déroulent à Cuba. Où en est-on, pour resituer un petit peu les choses ?
Ça va très lentement. Ça a commencé il y a plus de 16 mois. On est arrivé à deux points d’accord sur les six qui sont sur la table de négociations. Le troisième serait sur le point d’aboutir, mais les négociateurs vont se revoir le 20 mars prochain après les élections. Ça va très lentement, parce qu’il n’est pas facile, avec des mercenaires qui continuent à contrôler, à avoir de l’argent et à contrôler des portions de territoire, de les faire rentrer dans le jeu politique. C’est quelque chose qui est extrêmement difficile parce que certains ont beaucoup, beaucoup de sang sur les mains. Comment arriver à ce qu’on a appelé la justice conditionnelle, faire la part des choses entre la réintroduction dans le champ politique d’ex-guérilleros, et en même temps ne pas permettre aux descendants ou aux parents, ou aux victimes elles-mêmes, de réclamer justice. C’est un processus extrêmement compliqué !
Mais c’est la voie qu’a choisi l’actuel président Juan Manuel Santos, alors qu'Alvaro Uribe est plus favorable à la manière forte finalement...
Oui. Alvaro Uribe a fait reculer considérablement l’emprise des Farc sur le territoire colombien lorsqu’il était président. Mais il a mené une campagne frontale, un peu comme celle qu’avait menée Fujimori contre le Sentier lumineux dans les années 90 au Pérou, avec une grande différence. C’est que le Sentier lumineux avait un leader charismatique et une organisation très, très verticale. Alors que les Farc comme l'ELN, autre mouvement de guérilla qui existe en Colombie, sont beaucoup plus éclatés avec une structure horizontale, beaucoup moins verticale. Il n’y a pas un leader charismatique comme l’était Abimael Guzmán au Pérou.
Et sur l’affrontement entre Juan Manuels Santos et Alvaro Uribe aujourd’hui, on le voit, ce sont deux hommes qui se trouvent à droite de l’échiquier politique colombien. Comment se porte la gauche colombienne ?
Elle est très faible. Elle représente quelque chose comme 10 % de l’électorat. Et elle est très faible parce que les électeurs n’ont pas compris, ou du moins les leaders de cette gauche n’ont pas compris ce qui s’est passé ailleurs en Amérique latine, puisque la Colombie n’avait pas eu de dictature militaire. La gauche au point de départ était de connivence avec la lutte armée. Et ils n’ont pas su, comme l’ont fait leurs homologues dans les ex-dictatures militaires, dire à un moment donné : c’est terminé. Et le dire clairement.
Ils ont toujours été dans une position très floue par rapport à ces questions. D’autant que l’une des grandes questions, et qui est d’ailleurs sur la table des négociations à La Havane, c’est la question de la terre et des paysans qui ont été spoliés, privés de leurs terres. Et cette question, le discours marxiste traditionnel, le développement, le capitalisme, etc. a fait que cette gauche n’est pas arrivée à proposer une offre politique claire.