Shahram Amiri ou la vie mystérieuse d'un «espion»

Toutes les hypothèses affluent depuis l’exécution du scientifique iranien Shahram Amiri. Etait-il un espion de la CIA ou agissait-il pour le renseignement iranien ? Etait-il devenu un agent double ou tout simplement une victime collatérale de la guerre que se disputent les services secrets américains et iraniens ? Le mystère reste entier.

C’est une histoire d’espionnage à la James Bond, mais qui se termine mal pour 007. Shahram Amiri, 39 ans, a été pendu le 3 août par le régime de Téhéran. Son crime : il aurait révélé des informations top secrètes « à l’ennemi américain, le Grand Satan », selon les mots du porte-parole de la justice Gholamhossein Mohseni Ejei. Mais le jeune scientifique iranien spécialisé en radio-isotopes médicaux était-il vraiment un espion au service de la CIA ? Le doute plane.

Pour qui agissait Shahram Amiri ?

En juin 2009, Shahram Amiri se rend en pèlerinage à La Mecque puis disparaît mystérieusement…. Pour réapparaître aux Etats-Unis. Peu de temps après, le chercheur d'une université relevant du ministère de la Défense, alors âgé de 33 ans, fait de curieuses déclarations via une webcam. Shahram Amiri raconte dans un premier enregistrement s'être rendu aux Etats-Unis pour poursuivre ses études, indiquant même qu'il s'était inscrit à l'université.

Mais peu de temps après, dans deux autres vidéos diffusées à l'été 2010 par la télévision d’Etat iranienne, il explique que les Américains l’ont kidnappé, drogué et torturé, pour obtenir des informations sur le programme nucléaire iranien ; qu’il est menacé par Washington et qu’il veut au plus vite retrouver son pays. Quelques jours plus tard, Shahram Amiri se rend à l’ambassade du Pakistan à Washington qui représente les intérêts iraniens aux Etats-Unis (les relations diplomatiques entre l’Iran et les Etats-Unis étant suspendues).

Téhéran accuse alors la CIA d’avoir enlevé son ressortissant avec le soutien de Riyad, la chaîne ABC affirmant en mars 2010 que Shahram Amiri a même été approché par le renseignement américain sur le sol iranien. Pire, la chaîne avance que pendant le sommet de Pittsburg, en septembre 2009, Barack Obama avait annoncé que Washington, Paris et Londres avaient la preuve de l'existence d'un site nucléaire gardé secret par l'Iran dans la région de Qom. La chaîne indiquant que Shahram Amiri aurait été l’une de leurs sources.

Mais du côté américain, qui dément les dires d’ABC, on affirme que Shahram Amiri est arrivé aux Etats-Unis par choix, et qu’il n’était pas obligé de quitter le pays. Et la chef de la diplomatie américaine de l’époque, Hillary Clinton, d’insister qu’il était donc « libre de partir et était libre de venir » aux Etats-Unis.

Quoi qu’il en soit, en 2010, le chercheur entame un retour triomphal dans son pays natal. Il est accueilli par le vice-ministre des Affaires étrangères. Les images de ses retrouvailles avec son fils sont projetées en boucles dans les médias iraniens. Lors de son discours à la presse à l’aéroport Imam Khomeini, il dit être un « simple chercheur travaillant dans une université ouverte à tous et où il n'y a aucun secret (…).C'était un jeu du gouvernement américain pour faire pression sur l'Iran ». Pour les médias iraniens d’alors, il est ainsi un chercheur à l'université Malek Ashtar, qui dépend des Gardiens de la révolution, l'armée d'élite et idéologique du régime islamique. Sauf que, peu de temps après son retour au pays natal, Shahram Amiri est interpellé par le régime iranien…

Une histoire digne du temps de la guerre froide

L’histoire du scientifique iranien se joue dans un contexte de tensions diplomatiques entre Téhéran et Washington sur le dossier du nucléaire iranien, le régime des mollahs étant accusé de vouloir produire l’arme atomique ; un imbroglio qui aboutit en juillet 2015 à un accord, mais qui aura tout de même duré douze ans.

C’est dans cette atmosphère de guerre froide dans laquelle la vie d’un homme semble peu importer aux deux puissances - sachant qu’entre 2010 et 2012, au moins quatre chercheurs ont été assassinés en Iran - que la mésaventure de Shahram Amiri se déroule.

Car dès que le scientifique foule le sol iranien, certains médias américains envoient l'homme au pilori. Ils affirment, sous couvert d’anonymat, que Shahram Amiri était bel et bien un espion de la CIA depuis plusieurs années - un excellent agent même, puisqu’il aurait fourni des informations cruciales sur le nucléaire iranien - et qu’il a choisi de retourner dans son pays, inquiet pour sa famille et en proie à la dépression.

Pourtant, les Etats-Unis lui auraient offert une protection ainsi qu’une récompense de cinq millions de dollars. Par le scandale des mails d’Hillary Clinton, d’autres informations fuitent et confirment que Shahram Amiri est bien un indic de la CIA. « Notre homme n'est plus capable de faire quoi que ce soit de toute façon. S'il doit partir, qu'il parte », écrit l’un des conseillers de la secrétaire d’Etat.

Lors des précédentes disparitions de scientifiques en Iran, les autorités accusaient les services de renseignement américains, israéliens et britanniques. Mais cette fois, Téhéran adhère à la thèse américaine. Aujourd’hui le régime iranien qui, ne voulant pas perdre la face, affirme ainsi détenir toutes les preuves que Shahram Amiri était effectivement un espion qui agissait pour la CIA. « Les Etats-Unis ont été dupés par notre système de renseignement, a affirmé Gholamhossein Mohseni Ejei. Le renseignement américain croyait que l'Iran n'avait pas d'informations sur le transfert de cet individu en Arabie saoudite et sur ce qu'il faisait. Mais nos services de renseignement étaient au courant de tout. »

Pourquoi alors a-t-il été présenté en Iran comme un « héros national » et accueilli par les officiels avec des fleurs ? Dès lors, s’il était un agent des services secrets américains, pourquoi Shahram Amiri aurait-il demandé à rentrer en Iran sachant que sa vie serait en péril ? Selon le New York Times, c’est pour retrouver sa famille qui se sentait de plus en plus menacée, d’où la vidéo dans laquelle il explique publiquement avoir été kidnappé et torturé.

Le mystère reste entier

Neuf mois avant sa pendaison, Askar Amiri, le père du scientifique, n’ayant plus de nouvelles de son fils, s’est exprimé dans une vidéo sur les réseaux sociaux. « Mon fils, après être rentré en Iran, a été incarcéré par les services de sécurité sans être accusé officiellement de quelque manière que ce soit (…) Pour préserver les intérêts du régime et du pays, nous n’avons jusqu’à maintenant pas médiatisé ce problème (…) J’ai une question aux autorités : s’il est coupable, pourquoi durant ces quatre ans nulle accusation ne lui a été signifiée et aucune plainte déposée à son encontre ? S’il avait commis un crime ou un délit, pourquoi a-t-il été reçu à l’aéroport avec tant de fast et tant de propagande ? » Et Askar Amiri d'ajouter : « Vous lui avez accordé la protection et la sécurité quand il était aux Etats-Unis mais une fois arrivé en Iran vous n’avez pas respecté vos promesses. »

Ce 9 août, dans un entretien téléphonique à l'agence Reuters, la mère de Shahram, Marzieh Amiri a déclaré que son fils lui avait demandé de dire à tous qu'il était innocent et qu'il avait « la conscience tranquille ».

Pourquoi Shahram Amiri est mort ? Pourquoi a-t-il été exécuté alors que sa condamnation n’a jamais été prononcée ? Etait-il un « simple » chercheur ou un agent double ? Comment se fait-il qu’il ait pu aller seul à La Mecque alors que d’ordinaire les pèlerinages depuis l’Iran sont rigoureusement encadrés ? Son retour triomphal était-il qu’une conspiration du régime iranien ? Qui ment ? Autant de questions qui restent en suspens. Shahram Amiri était-il un héros ou un traître ? L’accord sur le nucléaire iranien, après plus d'une décennie de crise est en tout cas loin d’avoir écarté les points de tension entre l’Iran et les Etats-Unis.

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