De notre correspondante à Athènes
Le soleil est écrasant en ce début d'après-midi à Athènes. Dans ce quartier populaire à une vingtaine de minutes en bus du centre, Muhidiin Hussein Ali Waash marche au ralenti vers l'appartement dans lequel il loge depuis environ deux semaines. C'est le premier jour du ramadan. Ce matin, il s'est couché à 6h00 parce qu'il n'arrivait pas à dormir. C'est souvent le cas ces dernier temps.
Avec 40 autres personnes, ce Somalien de 32 ans a débarqué le 16 avril au port de Kalamata, une ville située dans le sud du Péloponnèse, sauvé par un bateau battant pavillon philippin alors qu'ils dérivaient en mer. A leur arrivée en Grèce, avec 22 autres compatriotes, 11 Ethiopiens, 6 Egyptiens et un Soudanais, ils ont décrit comment les passeurs étaient en train de les transférer, entre la Libye et l'Italie, d'une petite embarcation vers un grand bateau plein à craquer lorsque celui-ci a sombré.
« Je ne suis pas bien dans ma tête »
Muhidiin Hussein Ali Waash a perdu 6 de ses frères. Assis sur une chaise en plastique rouge, dans l'appartement fourni par l'Organisation non gouvernementale Praksis et financé de façon indirecte par l'Union européenne, il raconte comment il a dû annoncer la nouvelle à sa mère au téléphone : « Elle est tombée sur le sol. J'ai rappelé plusieurs fois, mais elle ne décrochait plus. C'est finalement quelqu'un d’autre dans la pièce qui a répondu. » Il répète sans cesse : « Je ne suis pas bien dans ma tête. »
Eirini Skabaviria de l'ONG Praksis qui les a accueilli à Athènes explique qu'elle leur a proposé de consulter des psychologues au local d'une association partenaire, mais Muhidiin Hussein Ali Waash, un peu perdu, ne semble pas avoir compris ça. Il raconte qu'on lui a dit d'aller à l'hôpital. D'abord logé à l'hôtel, il a été transféré dans cet appartement un peu vieillot avec 6 autres rescapés.
Dans la torpeur de cette après-midi, ils somnolent en écoutant des récitations du Coran. Comme les autres, Muhidiin Hussein Ali Waash ressasse. Chaque nuit, dans son lit superposé en métal, il se pose inlassablement les mêmes questions : « Qu'est-ce qui est arrivé cette nuit ? Est-ce que mes frères ont survécu ? Non, je les ai vu mourir. Qu'est-ce qui va arriver après ? Est-ce qu'ils vont nous renvoyer ? »
« C'est mon dernier espoir »
C'est aussi l'incertitude qui l'empêche de dormir. Il raconte qu'à Kalamata, à leur arrivée, Interpol, l'Organisation internationale de police criminelle est venue les interroger. Ils lui ont posé des questions sur les pirates qui pillent les navires au large de la Somalie, sur les shebab, les terroristes islamistes somaliens.Lui-même explique qu'il a quitté le pays subitement après avoir été enlevé pour être recruté. Il est parti sans même prévenir sa femme et ses 5 enfants et a rejoint ses frères, qui avaient déjà fui en Ethiopie pour les même raisons.
C'est ce qu'il va tenter de faire valoir le 14 juin, lors de son rendez-vous au service d'asile qu'il a obtenu après s'être rendu entre 6 et 10 fois sur place, il ne sait plus très bien. Selon le service grec d'asile publiés en 2015, 64,7 % des Somaliens qui ont demandé le statut de réfugié en Grèce l'ont obtenu en première instance. Il veut pouvoir rester ici. « C'est mon dernier espoir », ajoute-t-il.
Grâce au programme des retours volontaires de l'Office international pour les migrations, 7 rescapés, dont 6 Egyptiens ont décidé de retourner chez eux. Un Ethiopien, Muaz Mahmuud, lui, aimerait pouvoir rejoindre sa famille en Belgique ou au Canada. Il vit dans un autre appartement de l'ONG Praksis. Il reçoit dans la pièce principale où se trouvent deux lits simples recouverts des mêmes draps et couvertures blancs que dans l'autre logement.
« J'ai été emprisonné et battu plusieurs mois »
Ils sont 4 à vivre ici. A 25 ans, Muaz Mahmuud est le plus âgé. Comme il parle anglais, il fait office de « point de ralliement » pour les autres Ethiopiens partis avec lui de son village. Ils étaient 12. Seuls 7 ont survécu. Lui-même a perdu sa femme et sa fille de deux mois.
Un jeune de 18 ans est venu dormir ici la nuit dernière car il ne supporte pas l'appartement où il se trouve en bord de mer : « Je ne voulais plus jamais revoir la mer. Je n'arrive pas à dormir. Quand je suis dans l'appartement, j'ai l'impression que tout tangue ». Il a perdu son oncle et un ami dans le naufrage.
Eux-aussi n'ont pas consulté de psychologue. Ils ont reçu des habits grâce à des Somaliens d'Athènes qui les ont reconnus à la télévision grecque. Pour la nourriture, ils reçoivent chacun un bon alimentaire de 45 euros toutes les deux semaines par l'ONG Praksis. La plupart veulent quitter le pays, mais Somaliens et Ethiopiens ne font pas partie des nationalités actuellement éligibles au programme européen des relocalisations.
Pas de réunification familiale non plus pour Muaz Mahmuud, trop âgé pour rejoindre sa famille en Belgique. Il lui reste sa sœur au Canada mais dans tous les cas, il ne veut « surtout pas rentrer », dit-il en tendant un papier qui explique la répression des manifestations des étudiants et fermiers de la région d'Oromia en Ethiopie. « La police est venue nous chercher à l'école. J'ai été emprisonné et battu plusieurs mois. »
Mais en Grèce, en 2015, les Ethiopiens n'étaient que 42,6 % à obtenir le statut de réfugié en première instance.