De notre envoyée spéciale à Idomeni (Grèce)
Il est 9h30. Le long des barbelés de la frontière gréco-macédonienne, Wisam titube dans son pantalon de pyjama rouge à cœurs blancs, les yeux encore mi-clos, sa brosse à dent à la main. A 27 ans, la jeune professeure originaire de Palmyre essaie de vivre dignement, malgré des conditions de vie extrêmement précaires au camp de réfugiés d’Idomeni. « J’ai peur de me perdre, de ne plus savoir qui je suis, comment m’asseoir sur une chaise, manger autour d’une table », s’inquiète-t-elle. Ici, il n’y à faire, mais les tâches du quotidien prennent énormément de temps. « Pour me laver, au début je prenais une heure. Maintenant, je me suis habituée, en vingt minutes c’est fait », explique Wisam.
Evidemment, le robinet de la cabine de douche est à sec depuis longtemps. Pour l’eau, il faut remplir un grand seau et attendre qu’elle chauffe, sur le feu du camp. C’est Ali qui s’en charge. A 25 ans et malgré son sourire enfantin, il est déjà l’homme de la famille. Les flammes rougeâtres crépitent lentement. L’odeur de café se mêle à celle du feu de bois. Nagam, 23 ans, et son mari Amar, préparent le café pour la famille, sous les yeux de la cadette, Venus. Le réveil se fait petit à petit.
Le midi, le repas est frugal
Vers 13h, tout le monde est debout, lavé, frais et bien disposé. Nagam est heureuse. Elle se pomponne, fait glisser le tube de gloss sur ses lèvres brillantes, devant son petit miroir. « J’ai même pu mettre un peu de parfum », s’extasie-t-elle. Son mari, Amar est ravi. Il la dévore des yeux. Aujourd’hui, les jeunes femmes ont enfilé de nouveaux vêtements, rapportés par des bénévoles. Les dons représentent l’essentiel de leurs biens. « Ces carottes et ces aubergines, c’est C. J., une volontaire anglaise, qui nous les a amenées », raconte Wisam, pendant que sa mère tranche les légumes. Le midi, le repas est frugal : un peu de thon, quelques tomates, des olives et des œufs brouillés, le tout accompagné de confitures et de pain pita.
Parfois, des bénévoles partagent leur déjeuner. C’est le cas de Tobias et Anja, deux volontaires italiens. Ils ont rencontré la famille Daas sur l’île de Leros. « Ali a tellement maigri, je ne l’aurais pas reconnu », s’inquiète Tobias. Avant d’arriver à Idomeni, le jeune homme pesait 98 kg. Aujourd’hui, il en fait 86. L’incertitude et la lassitude y sont pour beaucoup. « Cela fait soixante-cinq jours que nous sommes ici et pas cinquante-huit », réalise soudainement Wisam, les larmes aux yeux. Nous sommes le mercredi 20 avril. La jeune femme est à bout. Les jours se suivent et se ressemblent. Pour tuer le temps, elle fait un peu de badminton avec sa sœur Nagam.
La petite famille tue le temps comme elle peut
De temps en temps, la jeune professeure passe l’après-midi en ville, à Polikastro, grâce à des bénévoles ou des journalistes de passage. Avec son anglais parfait et sa gentillesse, elle s’attire facilement la sympathie des uns et des autres. Une fois en ville, il suffit d’une petite glace ou d’une moussaka et elle déborde de joie : « Sortir de ce camp, vivre normalement, même pour quelques heures, ça fait un bien fou, je me sens revivre », s’enchante-t-elle.
Mais ces moments sont rares. Habituellement, la petite famille tue le temps comme elle peut. L’odeur sucrée du tabac enivre le camp. Il est 18h, l’heure de la pause chicha de la famille. Une tasse de café à la main, Ali chantonne « I’m so lonely, broken angel, I’m so lonely, listen to my heart », un morceau de pop-électro iranienne un peu kitch. Wisam fait défiler ses photos sur son smartphone : « Ca, c’était moi en Turquie, raconte-t-elle nostalgique. Regarde comme j’étais belle à l’époque ! » Sur la photo, la jeune femme est pétillante en robe de soirée, les cheveux lâchés sur ses épaules dénudées.
« Mon ancien moi me manque », soupire Wisam. Pour se retrouver, elle s’adonne à sa passion, le dessin et la peinture. Dans la tente de son frère, au milieu des vêtements et des paquets de pâtes, trônent ses canevas et ses aquarelles. Un petit coup de pinceau par-ci, un petit coup de pinceau par-là et le tour est joué : « Quand je dessine, j’oublie tout ça, je me retrouve enfin avec moi-même et je me sens bien ». Quant à Ali, c’est une nouvelle passion qui le fait tenir : l’information. Ici, il connaît tout le monde et tout le monde le connaît. A chaque fois qu’un incident se déroule à Idomeni ou dans les environs, il est le premier au courant. Appareil photo en main, il témoigne du quotidien des réfugiés et le publie sur Facebook.
Tous les soirs, vers 20h-21h, après le dîner, les trois sœurs et leur frère se dirigent vers la cafétéria du coin. C’est une véritable expédition. Chargeurs en tout genre et multiprises sont de rigueur. Objectif : recharger les téléphones portables de la famille. A 23h, l’établissement ferme ses portes. Leur petit rituel, c’est d’aller chercher une ciorba, petite soupe distribuée tous les soirs gratuitement à partir de 22h30. Enfin, pour finir la journée en beauté, la famille entonne quelques chants avec ses voisins et débat sur l’avenir, à la lueur du feu. Avant de recommencer, ce jour sans fin, le lendemain matin.
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