Par Sébastien Duhamel.
Le problème des éleveurs mécontents - producteurs laitiers, de viandes bovine ou porcine - est simple : c’est bien souvent la survie de leurs exploitations qui est en jeu. Avant la grogne, avant les manifestations dont nous parlons, le ministre de l’Agriculture lui-même avait lancé un signal d’alarme le 17 juillet dernier dans le quotidien Le Parisien. Selon lui, près de 10 % des exploitations d’élevage françaises sont aujourd’hui au bord du dépôt de bilan. Ce qui représente pas moins de 22 000 à 25 000 exploitations...
Les raisons sont nombreuses pour expliquer cette crise, qui est avant tout une crise des revenus des éleveurs. Si on regarde les chiffres de la Commission des comptes de la Nation, le revenu moyen d'un éleveur de viande bovine, par exemple, équivaut à un peu moins de 16 000 euros par an hors impôt et autres charges. Ce qui fait qu’il lui reste au final un peu moins de 1 000 euros par mois. C'est moins que le SMIC, le salaire minimum en France, alors que la charge de travail est généralement lourde. Les éleveurs de porcs, eux, ont vu leurs revenus baisser de près d'un tiers, comparé à la moyenne des trois années précédentes...
Crise des revenus, crise des prix
Si cette crise des revenus existe, c’est parce qu’une crise des prix sévit. Une crise atteignant les trois filières qui manifestent leur colère en ce moment. Qu’on parle des producteurs laitiers, des éleveurs de viande bovine ou de porc, tous alertent sur l'effondrement des cours, sur des prix de vente qui ne couvrent plus ou à peine leurs coûts de production qui augmentent.
Il suffit de regarder dans le détail. Au début des manifestations, la FNSEA, syndicat d'exploitants, expliquait que le prix du porc payé au producteur atteignait 1,38 euros le kilo. Alors que le coût de production est estimé à 1,40 euros par kilo. Le lait, jusqu'à la semaine dernière, était vendu 30 centimes le litre, soit 300 euros la tonne alors qu'il faut 340 euros pour la produire…
Evidemment, cela n'est pas viable, économiquement, dans un secteur qui nécessite des investissements lourds, où de nombreux exploitants se sont endettés. Certes, vendredi dernier, les producteurs de lait ont obtenu l’engagement d’une hausse des prix de la part de leurs partenaires. Jusqu'en décembre, le lait ne pourra pas leur être acheté à moins de 340 euros les mille litres, ce qui, encore une fois, couvre à peine les frais de production.
Idem pour les éleveurs de bovins viande. Le 17 juin dernier, ils ont obtenu un engagement des autres acteurs du secteur, selon lequel chaque semaine, le prix de la viande payé au producteur devait augmenter de 5 centimes. Or, quatre semaines plus tard, les éleveurs n’ont constaté qu'une augmentation de 7 centimes.
Un marché complexe et mondialisé
Dans le cas de la filière « viande bovine », par exemple, le système est d'une très grande « complexité », selon les propres mots du médiateur qui a rendu son rapport le 22 juillet dernier. Il est vrai que le prix à la consommation a augmenté ces dernières années. La grande distribution a enregistré une hausse régulière de ses marges, mais entre le producteur et le distributeur, il y a des intermédiaires : industriels, transformateurs, abattoirs. Et si les abattoirs semblent avoir le dernier mot dans la fixation du prix aux éleveurs, ils doivent également composer avec les exigences de la grande distribution.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d'un marché mondialisé, qui subit de plein fouet un contexte général défavorable. Les producteurs de lait ont vu la fin des quotas laitiers européens en avril dernier, qui régulaient le secteur depuis une trentaine d'années.
De plus, la Chine a brusquement réduit de moitié sa demande de poudre de lait, alors que cette dernière était croissante depuis 2010. Sans parler de l'embargo russe sur les produits agroalimentaires, établi en août dernier à la suite de la crise ukrainienne. La Russie était le troisième marché pour les opérateurs français – avec près de 100 millions d'euros d'exportation de produits laitiers en 2013. Un marché dont les enjeux sont estimés à la même somme pour la filière porcine.
Economie chinoise moribonde, embargo russe... Autant d’événements qui, en réduisant la demande, engorgent le marché européen, alors que les éleveurs dénoncent déjà la concurrence imposée par les éleveurs espagnols, néerlandais et surtout allemands.