Avec notre envoyé spécial à Alès, Franck Alexandre
Gilles Estève, visage buriné, la cinquantaine, est tueur dépeceur. Depuis ses 17 ans, l’abattoir, c’est toute sa vie. La justice lui reproche deux coups de pied assénés à une vache qui venait d’être étourdie sur la chaîne d’abattage. Une vidéo l’accuse, mais l’homme se défend avec vigueur. « On m’a appris à faire ça, pour déclencher un coup de patte », dit-il. A ses yeux, il s’agit d’une nécessité de sécurité, certainement pas d’un acte de cruauté envers les animaux.
« C’est un métier qui est très, très dur, mais nous, on est dans un abattoir et dans une région où l'on fait attention. Il y a toujours tout à améliorer, on n’est pas parfaits non plus, admet-il. Je suis venu sans avocat pour montrer mon geste. Je ne vais pas baisser les yeux. A mon avis, je n’ai rien fait de malhonnête. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des trucs très choquants, mais on peut s’améliorer sans tout détruire. Parce qu’un abattoir, à mon avis, c’est quand même quelque chose d’utilité publique et sanitaire. »
Déceler une éventuelle souffrance animale sur une vidéo est une tâche ardue. C’est un travail d’expert. Claudia Terlouw, chercheuse à l’Inra, est spécialiste du stress à l’abattage. « Il y a deux façons d’étourdir les animaux », explique-t-elle au tribunal. Il y a d’abord le matador, ce pistolet pneumatique utilisé pour perforer la cervelle des bovins. Et il y a la pince électrique. L’électronarcose est une technique plus difficile qui consiste à faire passer un courant électrique dans la tête des petits animaux, comme les ovins. L’animal est alors inconscient pendant quelques dizaines de secondes. Il faut le saigner rapidement.
« Un bon opérateur voit immédiatement si l’animal est étourdi », affirme Claudia Terlouw. Sur l’une des vidéos, pourtant, l’un des opérateurs s’amuse avec les moutons en leur donnant de petites décharges électriques. Des décharges insuffisantes, analyse l’experte de l’Inra. Assis sur le banc des prévenus, l’employé de l’abattoir du Vigan écoute, penaud. « J’ai fait une connerie, mais on vit la mort toute la journée, confesse-t-il. Alors oui, on rigole, mais c’est pas par intention de faire du mal. » Pour acte de cruauté envers les animaux, il encourt deux ans de prison.
Parmi les trois prévenus, un seul, le plus jeune, âgé de 24 ans, a reconnu à la barre avoir commis des fautes. Mais pour sa défense, il a aussi précisé : « Pour tuer, je n’ai jamais été formé, j’ai appris sur le tas. »
► à (ré)écouter: Abattoirs, le procès de la maltraitance animale. Brigitte Gothière, porte-parole de l’association L214, était l'invitée de RFI