Avec notre envoyé spécial à Rennes, Franck Alexandre
C’est une relaxe totale pour les deux policiers qui a provoqué l’ire de la salle d’audience. Les familles de Zyed et Bouna, les proches, les amis, les soutiens, tous étaient là, massés sur les bancs des parties civiles, pour entendre un jugement qu'ils attendaient depuis dix ans. Tous ont donc été submergés par la colère lorsqu’ils ont entendu ce mot « relaxe ».
« Zyed et Bouna sont morts pour rien », ont crié certains. « Vous êtes responsables », a ajouté le frère de Zyed Benna, pointant d’un doigt vengeur les deux policiers qui ont rapidement quitté la salle par une porte dérobée. Au seuil du palais de justice, certains proches laissent éclater leur colère. « Dix ans d’impunité, c’est l’exemple même qu’en France les policiers se sentent au-dessus des lois puisque la justice systématiquement les relaxent et les acquittent », hurle une femme.
Un jugement redouté
Cette relaxe, les parties civiles la redoutaient. Elle était bien sûr possible puisque telle était déjà la position du parquet. Mais dans leur for intérieur, les familles de Zyed et Bouna et leurs avocats espéraient que le tribunal pointerait au moins l’indifférence des deux policiers au sort des deux adolescents. Il n’en fut rien.
Au-delà de la relaxe, le tribunal a même balayé point par point tous les arguments des parties civiles. Aucun des policiers n’a perçu un péril quelconque, note le tribunal dans son jugement. Il n’y a pas eu de certitude de la présence des enfants sur le site EDF, ajoute le président, précisant même que la phrase prononcée par l'un des policiers – « s’ils entrent sur le site, je ne donne pas cher de leur peau » – n’indique pas la perception d’un péril grave et imminent.
Pour les parties civiles en revanche, cette relaxe pure et simple est perçue comme une terrible injustice. Dix ans après les faits, les plaies sont béantes. « [Les familles] sont détruites, elles ont vraiment un sentiment d’injustice. C’est une immense déception parce que l’audience avait néanmoins donné l’espoir que le tribunal allait reconnaitre la faute qui a été commise par les deux policiers, or le tribunal vient de nous dire de façon assez sèche et froide qu’il n’y a finalement aucune faute et que les familles ne sont même pas les victimes. Zyed Benna et Bouna Traoré sont morts pour rien », dénonce Maître Emmanuel Tordjman.
« Apartheid judiciaire »
D'abord abattus, les avocats des familles des deux adolescents disparus se sont ensuite montrés plus combattifs devant les journalistes. « Ce jugement, c’est la rhétorique de l’ordre », ont-ils clamé. « L’incarnation d’un apartheid judiciaire », assurent-ils, car le tribunal a balayé tous leurs arguments, notamment celui d’une indifférence coupable au sort de Zyed et Bouna.
Pour la justice, les deux policiers n’ont commis ni faute, ni erreur d’appréciation. Il n'y a même pas lieu d’indemniser les parents qui ne sont donc plus victimes au sens de la loi, ce à quoi s'opposent les avocats qui en appellent devant une chambre civile. Car sur le plan pénal, ils n’ont plus la possibilité de contester ce jugement.