Avec notre envoyée spéciale à Gaillac,Alice Pozycki
Ils sont occupants, militants ou habitants de la région. Après un pique-nique, dimanche 2 novembre, tous se mettent en marche pour saluer la mémoire de Rémi Fraisse, ce jeune homme de 21 ans tué la semaine dernière dans les affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier du barrage de Sivens, dans le Tarn. La marche silencieuse se déroule près de l'endroit où doit être construit le barrage contre lequel protestait le jeune homme.
Isabelle était là le week-end dernier : « Aujourd’hui j’amène un bouquet de fleurs sauvages en hommage à Rémi. Ce jour-là, j’étais très près des affrontements. Il fallait repérer les gens qui étaient blessés. J’ai aussi une fille de 19 ans, et ce qui est arrivé à Rémy, ça aurait pu m’arriver à moi, ça aurait pu lui arriver à elle. »
Après une centaine de mètres parcourus, la foule arrive aux abords du chantier. Il n’y a plus qu’un seul arbre debout. Plusieurs centaines de personnes, comme Camille, s’accroupissent : « J’entoure les glands que je viens de planter avec les restes d’arbres qui ont été abattus depuis le mois de septembre. C’est comme faire pousser une nouvelle vie. »
Annie vient ici pour la première fois. Un bâton ramassé par terre lui sert de canne. Dans son autre main, elle porte un bouquet de roses. « Je suis venue rendre hommage à ce pauvre garçon qui est mort. Je trouve vraiment dommage qu’en 2014, pour défendre des idées, on soit obligé de mourir », explique la vieille dame, visiblement émue. « J’ai des petits-enfants de cet âge-là, ça aurait pu leur arriver. » La marche se termine devant le mémorial érigé par les occupants en mémoire de Rémi Fraisse, là où la terre décapée par les machines est dure comme du béton. Certains plantent des fleurs et des arbres en silence.
Deux sit-in à Paris
Parallèlement, deux manifestations ont eu lieu à Paris, également en hommage à Rémi Fraisse, a pu constater notre journaliste, Anna Piekarec. La première manifestation, non autorisée, s’est tenue place de Stalingrad et a rassemblé 300 personnes. Elle a été dispersée par la police qui a interpellé 78 participants.
La deuxième manifestation – un sit-in organisé par France Nature Environnement, association écologiste dont Rémi Fraisse était membre – a réuni plus de 700 personnes. Parmi elles : Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de Gauche, qui est venu saluer la mémoire de Rémi Fraisse.
« Il me semble qu’il y a besoin de protestations civiques, pacifiques, à propos de la mort de ce jeune homme. Le maintien de l’ordre public est un exercice qui on le sait est compliqué, mais qui suit des règles, et implique un principe de responsabilité. Le maintien de l’ordre public, ça ne se joue pas comme une bataille rangée entre manifestants et fonctionnaires de police ou de gendarmerie », a estimé Jean-Luc Mélenchon.
Le fondateur du Parti de Gauche reconnaît la présence de fauteurs de troubles parmi les opposants au projet de barrage, mais a estimé « Qu’on ne vienne pas me dire qu’il y a des violents : je le sais. Mais précisément, maintenir l’ordre, c’est aussi faire face aux violents dans des conditions qui sont celles d’une République et d’une démocratie, pas d’un acte de guerre. La mort, c’est un acte de guerre. C’est la différence entre une opération civile et une opération militaire. J’espère que les autorités de l’Etat vont réfléchir aux équipements qu’ils mettent à disposition parce que ça commence à bien faire : entre les flashballs qui sont dangereux, les grenades offensives… le maintien de l’ordre public, ce n’est pas un acte de guerre civile. »
Ni slogans ni banderoles
Le rassemblement a été pacifique, sans slogans, ni banderoles ou affichage d’appartenance politique, syndicale ou associative. La présence policière était discrète. Le seul signe de ralliement arboré par les manifestants : un autocollant à fleur jaune, une renoncule, plante protégée, dont Rémi Fraisse était spécialiste. « Moi aussi j'aurais pu mourir dans une manif. Là c’est un jeune. Je suis grand-mère, ça me fait mal », témoigne une manifestante. « Cette renoncule, c’est un peu le symbole de la fragilité vis-à-vis des bulldozers. » « Derrière la mort de Rémi, il y a un barrage. Derrière le barrage, il y a une vision productiviste de l’agriculture », avance un homme également venu participer au rassemblement.
« Je suis venue parce que je trouve inacceptable que les pouvoirs politiques continuent à justifier l’injustifiable et à toujours s’abriter derrière l’argument des "casseurs" pour éviter de voir le fond du problème », poursuit une troisième manifestante. « On est désolés, on est meurtris. 21 ans, vous vous rendez compte ? Ce jeune, c’était l’avenir de la nation. Botaniste, intelligent, solidaire. Tué. C’est presque un crime d’Etat. »
A l’issue du rassemblement, les manifestants ont pu inscrire leurs condoléances dans un grand livre qui sera transmis à la famille de Rémi Fraisse.