« Ayant pris connaissance de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat », la Cour européenne des droits de l'homme a décidé de demander au gouvernement « de faire suspendre l'exécution de cet arrêt pour la durée de la procédure devant la Cour », précise un courrier adressé par la CEDH au gouvernement français.
« Cette mesure implique que Vincent Lambert ne soit pas déplacé avec le but d'interrompre le maintien de son alimentation et de son hydratation », précise la Cour.
La CEDH a été saisie lundi soir, le 23 juin 2014, par les parents de Vincent Lambert d'une demande d'intervention sur la base de l'article 39 de son règlement, qui prévoit qu'elle peut imposer aux Etats des mesures urgentes et provisoires, « à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient exposés - en l'absence de telles mesures - à un risque réel de dommages graves et irréversibles ».
Après cette décision conservatoire, prise en urgence, le dossier va désormais être étudié sur le fond par la Cour européenne, laquelle précise avoir décidé« que la requête serait traitée en priorité ».
Si le jugement du Conseil d’Etat venait à être suspendu, la deuxième phase risquerait d’être beaucoup plus longue puisque c’est sur le fond que statuerait la CEDH. Les délais pouvant alors aller de six mois à trois ans.
Une attente supplémentaire qui serait « le délai de trop pour son équipe », a estimé Eric Kariger, médecin de Vincent Lambert au CHU de Reims et favorable à l’arrêt des soins.
« Obstination thérapeutique »
Plus tôt dans la journée, les dix-sept juges de la formation la plus solennelle du Conseil d’Etat ont jugé légale la décision d’arrêter les traitements de Vincent Lambert, ce qui est une première en France.
L’air grave face aux caméras, le vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, soulignait que la décision prise par les dix-sept Sages « s’inscrit dans le cadre tracé par la loi Leonetti ». Il y a bien, dans ce cas, une « obstination thérapeutique », précisait-il.
Comme le stipule la loi de 2005 sur l’arrêt des traitements palliatifs en cas d’acharnement, Vincent Lambert avait fait part à son entourage de ses volontés sur sa fin de vie. Infirmier en psychiatrie avant son accident de moto de 2008, il était souvent confronté à la mort et avait toujours prévenu ne jamais vouloir être maintenu dans un état de dépendance. Or, « une attention toute particulière doit être accordée à la volonté du patient », avait noté Jean-Marc Sauvet.
Le corps médical, qui a travaillé sur le cas de Vincent Lambert, a par ailleurs rendu une décision collégiale, comme en dispose la loi Leonetti. Tous les médecins missionnés sont arrivés à la conclusion que le jeune tétraplégique de 38 ans était dans un « état végétatif, au caractère irréversible […] et totalement inconscient ».
Enfin, Jean-Marc Sauvé avait insisté sur le fait que ce jugement est « parfaitement compatible avec la Déclaration européenne des droits de l’homme ».
Une famille divisée
La famille Lambert se déchire depuis bientôt six ans sur la suite à donner à l’hospitalisation de Vincent Lambert.
D’un côté ses parents, Pierre et Viviane, catholiques traditionnalistes, considèrent que leur fils est toujours « présent » et se battent pour son maintien en vie. De l’autre, son épouse, Rachel Lambert, ainsi que six de ses frères et sœurs, et ses médecins, insistent pour l’arrêt de cette « obstination thérapeutique ». Arrêter les soins serait même « la seule solution humaine », selon son neveu François Lambert.
Un premier cas très particulier
Le vice-président de la plus haute juridiction française, Jean-Marc Sauvé, a rappelé mardi que cette décision, inédite, intervenait dans « des circonstances très précises ». Le rapporteur public en charge du dossier Rémi Keller a, lui, assuré que cet arrêt « n’a aucun caractère général ». Un moyen de rassurer les associations anti-euthanasie farouchement opposées à cette décision.
L’instigateur de la loi qui porte son nom, le député UMP des Alpes-Maritimes Jean Leonetti, a de son côté réagi et mis en garde : « Chaque situation doit être appréciée au cas par cas ».
In fine pourtant, il y a fort à penser que cette décision fera jurisprudence. La semaine dernière, le Premier ministre Manuel Valls a demandé au député UMP Jean Leonetti et au député PS de la Vienne Alain Claeys de proposer avant la fin de l’année un nouveau projet de loi plus clair sur la fin de vie.
■ Réformes sociétales : l'Elysée ne se précipite plus
Pendant la campagne de 2012, le président de la République avait promis une nouvelle loi pour « compléter » et « améliorer » la loi Leonetti. Il s'y était réengagé lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, appelant à un accord « large », « sans polémique, sans division ». Mais François Hollande ne semble aujourd'hui plus si pressé de changer la loi.
Une ministre commente : « Depuis la loi sur le "mariage pour tous", c’est devenu très difficile, presque impossible, de lancer des réformes sociétales. » Et d'égrainer la liste des polémiques récentes : débats sur l’école, théorie du genre, loi édulcorée sur la famille... Des emballements soigneusement entretenus, dit-on au gouvernement, par les conservateurs de l'UMP, des députés décrits comme « des ultras que plus personne ne contrôle dans un parti proche de l'implosion ».
Un climat crispé, des arrières-pensées politiques, et une Eglise catholique qui veut tout faire pour empêcher toute légalisation de l'euthanasie, ce mot que François Hollande n’a jamais prononcé, parlant prudemment de « fin de vie ». Le président garde en tête la mise en garde du pape, lors de sa visite au Vatican en janvier dernier. Toujours aussi impopulaire, François Hollande ne se voit pas aujourd'hui affronter des manifestations d'ampleur.
Résultat : la « patate chaude » du débat sur la fin de vie a été transmise au Parlement, avec la mission attribuée aux députés Claeys et Leonetti. Le signe que sur ce dossier, il est aujourd'hui, pour l'Elysée, urgent d'attendre. C'est en tout cas le sentiment amer qu'exprime la députée Europe Ecologie-Les Verts Véronique Massonneau, auteure d'une proposition de loi sur le droit de mourir dans la dignité.