Il fallait bien un an pour consulter les entreprises d’Etat, comme EDF, Areva ou Renault, ou encore discuter avec les syndicats agricoles comme la FNSEA avant de rédiger une proposition de loi qui ne froisse personne. La conférence de presse de Ségolène Royal de ce mercredi 18 juin a duré une bonne heure, mais au fond, elle aurait pu être un peu plus synthétique, car de nombreuses questions, comme les moyens de financement, sont restées sans réponse.
Cinq objectifs principaux
Le versant positif de la proposition de loi fait apparaître clairement des objectifs chiffrés :
-faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030 par rapport au niveau de 1990 ;
-diminuer de 30% notre consommation d’énergie fossile d’ici 2030 ;
-réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique à 50% en 2025, alors que le nucléaire représente actuellement 75% à 80% de la production d’électricité en France ;
-avoir 32% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique en 2030 ;
-diviser par deux la consommation d’énergie en 2050 par rapport au niveau de 2012.
Et pour concrétiser ces objectifs, la ministre de l’Ecologie a avancé des principes qu’elle veut structurants, comme maîtriser la demande d’énergie en poussant l’efficacité énergétique et la sobriété, diversifier les sources d’énergie et augmenter la part des renouvelables dans le mix énergétique ou encore associer les citoyens, les entreprises et les territoires.
Mais Ségolène Royal souhaite aussi assurer la transparence et l’information, alors que l’énergie est un sujet qui, justement, est traité depuis les années 1960 en France dans la plus stricte opacité. Le développement du nucléaire a été un choix de l’Etat et du général de Gaulle, en particulier, et la filière nucléaire est encore aujourd’hui sous la férule des corps de grandes écoles comme l’Ecole des Mines et Polytechnique. A cause du nucléaire, les citoyens français n’ont pour l’instant jamais été associés à la politique énergétique.
L’avenir du nucléaire : fermer Fessenheim… ou pas
Quand les journalistes ont posé à Ségolène Royal la question de la date de fermeture de Fessenheim – le président Hollande s’était engagé à fermer la plus ancienne centrale française au cours de son quinquennat –, elle n’a pas répondu clairement. La ministre a en revanche affirmé : « Nous ne sortirons pas du nucléaire ; c’est grâce au nucléaire que nous aborderons la transition énergétique ».
Il faut noter que la loi ne reprend pas la main sur les décisions politiques de fermeture des centrales, elle laisse la décision à l’exploitant, EDF. Or, on peut imaginer qu’EDF préfèrera prolonger leur durée de vie plutôt que fermer les plus anciennes et s’attaquer au démantèlement, qui s’avère extrêmement coûteux et pas forcément maîtrisé.
Des efforts sur le bâtiment, les transports parents pauvres
Des actions concrètes sont prévues dans la loi pour accélérer la rénovation énergétique des logements, avec un allégement fiscal pour les travaux de rénovation énergétique à hauteur de 30% du montant des travaux – pour les travaux engagés entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2015 –, un éco-prêt à taux zéro à partir du 1er juillet 2014 et la mise en place d’un « tiers financeur ». Un « tiers financeur » signifie que des municipalités ou des régions pourront faire l’avance de coûts aux particuliers, ce qui était impossible jusqu’ici.
Et sans attendre le vote de la loi, il y aura des appels à projets du ministère pour lancer 200 territoires à énergie positive.
Sur les transports, on trouve peu de choses dans cette future loi. Hormis un bonus pour acheter une voiture électrique et la construction de 7 millions de bornes de recharges d’ici 2030, il est étonnant de constater que le diesel, pourtant reconnu cancérigène, n’est pas mis à l’index. Sur ce sujet, après avoir affirmé qu’elle ne veut pas « punir ceux qui roulent au diesel », la ministre a eu une réponse pour le moins surprenante : « La cigarette est cancérigène mais elle n’est pas interdite, c’est pareil pour le diesel ».
Ségolène Royal a parlé de développer les différentes énergies renouvelables, méthanisation, éolien, solaire, énergie marine… Mais à part le « fonds chaleur » de l’ADEME (l’Agence de l’Etat pour le développement des énergies renouvelables) qui devrait doubler sur les trois ans à venir, le financement n’a pas été évoqué.
« De belles propositions » mais... pas de sortie du nucléaire
Pour Michèle Rivasi, eurodéputée Europe Ecologie Les Verts, « ce pré-projet de loi contient de belles propositions, notamment en matière de logement et de rénovation énergétique, mais une véritable transition énergétique ne peut passer que par une sortie programmée du nucléaire ». Et pour l’association écologiste négaWatt, « si l'ambition des objectifs à long terme est salutaire, les moyens proposés manquent de force et de cohérence ».
Mais certains écologistes, comme Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale, et Ronan Dantec, sénateur, vice-président de la commission Développement durable du Sénat, parlent d’un « pré-projet de loi ambitieux ».
Tous les articles de cette proposition de loi vont être examinés au cours de l’été dans des commissions, et à l’automne, la loi sera présentée au Parlement. Oui mais voilà, en même temps se déroulera la discussion budgétaire. Alors, si la majorité socialiste veut que les écologistes votent le budget à l’Assemblée, il faudra leur donner des compensations et, à l'inverse, si les écologistes veulent rester au gouvernement, ils devront peut-être avaler quelques couleuvres, comme celle du nucléaire.
■ Réaction
Fermer la centrale de Fessenheim n'apparait pas dans le projet de loi présenté mercredi, et la mise en service de l’EPR, un nouveau réacteur, n’est pas remise en cause. L’Etat aurait-il totalement perdu le pouvoir sur l’épineux sujet du nucléaire ? Maryse Arditi, militante à France Nature Environnement, fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, dénonce un « aveu d'impuissance politique ».