La France peut-elle renoncer à vendre ses navires Mistral à la Russie?

Le contrat signé en 2011 prévoit la fourniture par la France à la marine russe de quatre porte-hélicoptères de type Mistral, deux fermes et deux options. Les Etats-Unis se sont dit inquiets par ce contrat en raison du contexte de crise en Ukraine. La France avait pourtant indiqué que la vente n'aurait pas lieu avant octobre. La commande représente 1,2 milliard d’euros, et un millier d’emplois pour les chantiers navals de Saint-Nazaire. Pierre Conesa, maître de conférences à Sciences Po, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, vient de publier un ouvrage consacré à cette question, « La fabrication de l’ennemi » chez Robert-Laffont.

RFI : Est-ce qu’il est envisageable que la France suspende cette vente ?

Pierre Conesa : Contractuellement, c’est extrêmement difficile puisque effectivement cela exposerait à des pénalités, ce qui est le lot la plupart du temps de contrats d’armement. Puisque quand quelqu’un achète des armements à un pays producteur, il essaie de se garantir évidemment contre le risque d’embargo ou d’interruption du contrat. Donc ce serait financièrement très lourd.

Alors pourquoi cette date butoir du mois d’octobre ?

Parce que ça correspondant à la livraison du premier bâtiment de commandement. Il y aura un transfert physique puisque le premier est construit ici, le second est construit là-bas. L’idée du transfert du premier bâtiment qui sera donc terminé dans les chantiers français sera évidemment assujetti à une autorisation gouvernementale, pour permettre à ce navire, armé, de partir et de quitter les eaux territoriales françaises. Cela peut être un acte de gouvernement que de l’interdire à ce moment-là.

Ce sera alors un nouveau niveau de sanction si la France renonçait à vendre ses appareils. Cela veut dire que jusqu’à présent, les sanctions prises au niveau européen permettent ce type de contrat ?

Les sanctions européennes, ça a été un patchwork : "appliquons les sanctions qui sont les moins douloureuses pour chaque économie nationale". Donc les Anglais ont refusé les sanctions financières qui leur posaient le plus de problème. Les Américains ont appliqué des sanctions sur des domaines qui ne les concernaient pas. C’est une espèce de jeu de poker-menteur. Ca fait longtemps qu’il y a des contrats d’armement avec la Russie [et la France, NDLR]. Les Français ne sont pas les seuls. Après 1991, il s’agissait de moderniser un certain nombre d’équipements russes, tous les pays se sont précipités non seulement pour piller la technologie russe, mais éventuellement pour proposer des contrats de coopération.

C’est difficile de parler au conditionnel mais cela veut dire que si les Américains avaient eu ce type de marchés engagés, ils n’auraient pas émis les mêmes réserves ?

Ils nous auraient orientés vers des sanctions qui auraient été effectivement non militaires. Chacun des pays fait cela, mais évidemment quand on a la puissance dominante des Etats-Unis, on impose les sanctions qui gênent le plus les autres. C’est le scénario américain sur l’Iran, ça peut être le scénario américain sur la Russie demain.

Vous avez évoqué une indemnisation en cas de rupture du contrat. Est-ce qu’on a un petit peu une idée des montants engagés ?

Ce serait l’intégralité du contrat. Après ça se négocie évidemment parce que ce sont des procédures d’arbitrage. Ce qui est intéressant dans les contrats d’armement, c’est qu’en général, ça ne passe pas par la justice, mais devant des cours arbitrales. Ces cours sont en général situées en Suisse et ne passent jamais devant la justice pour une raison assez simple, c’est qu’il y a des contrats annexes qui sont destinés à payer des intermédiaires plus ou moins politiques. Donc en général, ce genre de choses ne se passe jamais devant la justice. Cela se passe dans une discussion dans une instance arbitrale dont personne ne connaît les résultats, excepté les deux parties au contrat. La diabolisation de la Russie telle qu’on est en train de la faire aujourd’hui est une espèce d’exercice de fabrication d’ennemis qui est assez caractéristique.

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