Des mines sombres, à gauche, depuis dimanche dernier. Et de sombres prévisions pour dimanche prochain. La gauche pourrait perdre une centaine de villes à l’issue du second tour des municipales, elle qui a déjà dû en céder une trentaine dès dimanche dernier. C’est donc bel et bien une vague bleue qui se dessine, après la vague rose de 2008. Une vague bleue comme celle de 1983, deux ans après l’arrivée d’un autre socialiste à l’Elysée… Une sanction « normale » aussi, pour le président le plus impopulaire de la Ve République.
Un seul - et bien mince - espoir subsiste pour le gouvernement : remobiliser les électeurs de gauche, ceux qui se sont le plus abstenus dimanche dernier. Au premier tour, l’abstention différentielle a atteint 7 points en faveur de la droite ; elle est là, la principale explication de la gifle adressée aux socialistes.
« Je vous ai compris »
Sonnée mais pas encore KO, la gauche ? François Hollande a attendu mercredi, jour du Conseil des ministres, pour faire connaître son sentiment. En mode « je vous ai compris ». « Sans attendre dimanche, il faut entendre les Français, a dit François Hollande devant ses 38 ministres. Ceux qui s’expriment, et ceux qui s’abstiennent. » Selon la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, « nous devons tirer de ces municipales une leçon, celle de travailler au redressement du pays, avec plus de rapidité, plus de force, plus de cohérence et de justice sociale. »
« Le redressement dans la justice, après le redressement sans la justice ? », ironise un député de l’aile gauche du Parti socialiste. Pas question pour François Hollande de changer de politique économique (la baisse du coût du travail pour les entreprises, et 50 milliards d’économies jusqu’en 2017), mais un petit cadeau dans cet entre-deux-tours : la promesse d'une baisse d’impôts pour les plus fragiles. « C’est la dernière trouvaille des socialistes, dans l’urgence, dans la panique, mais plus personne n’est dupe, assène Jean-François Copé, le président de l’UMP. Tout cela est parfaitement démagogique, et donne le sentiment d’amateurisme et d’improvisation. » Prudent, pour ne pas démobiliser son camp, le patron de l’UMP estime d’ailleurs que « les conditions sont réunies pour une vague bleue ».
Le FN à double tranchant
La gauche dispose toutefois d’un allié objectif dans ces municipales : le Front national. Même s’ils ne le disent pas, les socialistes misent un peu sur les listes de Marine Le Pen pour sauver quelques villes. Le FN a décidé de se maintenir partout où il peut ; il y aura ainsi plus de 200 triangulaires impliquant le FN dans des villes de plus de 10 000 habitants.
C’est d’ailleurs le phénomène de ces municipales : l’implantation locale de l’extrême droite. Mais c’est aussi une volonté des socialistes pour ce second tour que de lutter contre la banalisation du FN, pour réveiller les consciences des abstentionnistes de gauche. Le « front républicain » a ainsi été ranimé, avec plus ou moins de bonheur. « Ces gens-là sont des professeurs de République ?, balaie d’un revers de main Jean-Marie Le Pen, le vieux président d’honneur du FN. Nous ne sommes pas monarchistes, en tout cas moi je ne le suis pas. Nous sommes républicains. » Le Front national gagne en respectabilité, et sur le papier il pourrait s’imposer dans une quinzaine de villes.
Un remaniement inéluctable
Passé le choc de la défaite annoncée, une nouvelle séquence s’ouvrira lundi pour François Hollande. Une émission de télévision, le détail du pacte de responsabilité aux entreprises, et le détail des 50 milliards d’économies prévues jusqu’en 2017. Et un remaniement, devenu inéluctable. On annonce une équipe resserrée, autour d’une dizaine de grands pôles. Un gouvernement professionnalisé. Moins de ministres, et l'espoir de moins de couacs.
Mais quid du Premier ministre ? Le suspens reste entier. Manuel Valls trépigne - depuis presque deux ans d’ailleurs. Mais Jean-Marc Ayrault résiste. Et il a un allié qui a pris du poids lors de ces municipales : les écologistes. « On voulait nous cantonner à nos 2% de la présidentielle, relève le député d’Europe Ecologie-Les Verts Denis Baupin. Or nous avons fait 11,5% des voix là où nous nous sommes présentés. Le message des écologistes doit donc être entendu. » Le cœur des Verts penche pour Jean-Marc Ayrault, jugé beaucoup plus écolo-compatible que l’actuel ministre de l’Intérieur. Ils le font savoir, et ils en profitent, alors que François Hollande ne veut surtout pas qu’ils sortent du gouvernement.
Un Premier ministre combatif
De toute manière, Jean-Marc Ayrault vendra chèrement sa peau. Attaqué, moqué, critiqué, il se montre particulièrement combatif ces derniers temps. On le dit menacé ? Il a déjà sa feuille de route pour l’après-municipales. « Le redressement du pays n’est pas terminé, justifie son entourage, en mode « bilan de compétence ». Ici, on a l’expérience, on sait décider. » Devant ses visiteurs, Jean-Marie Ayrault délivre même un véritable discours de politique générale, celui qu’il aimerait bien prononcer, fin avril, pour vendre à la majorité parlementaire le pacte de responsabilité.
Mais ses proches l’assurent : il n’y aura pas de pacte sans contrepartie. Il faut que la justice soit au rendez-vous. C’est ça, être social-démocrate et pas social-libéral. Une pierre dans le jardin de Manuel Valls, son principal rival pour Matignon. Car Jean-Marc Ayrault se voit comme l’axe central de la majorité. Alors, après lui, le chaos ? L’offensive de Matignon masque-t-elle de la fébrilité ? « Si on ne bougeait pas, les journaux écriraient déjà que la bête est morte », lâche un conseiller.
A l’Elysée, François Hollande ne dit rien. Et à Matignon, on reconnait en ce moment « marcher sur des œufs ». En somme, dimanche soir, la pression sera au maximum sur le président, lui qui déteste décider sous la contrainte, et qui se vante d’avoir « les nerfs tout à fait froids ».