Le rapport Moreau sur la réforme des retraites, qui sera publié ce vendredi 14 juin, dresse un certain nombre de pistes et d'hypothèses. Il aborde à peu près tous les thèmes liés au système français : les inégalités entre hommes et femmes, la prise en compte de la pénibilité de certaines carrières (policiers, pompiers, douaniers), les différences de traîtement entre les salariés du public et du privé. C'est un rapport très complet, qui offre de nombreuses pistes de réflexion, et qui laisse, de fait, la place aux compromis.
Deux pistes qui font déjà polémique
L'une des pistes envisagées, et qui fait grincer des dents, c'est l'allongement de la durée de cotisation. Elle permettrait, en théorie, de ne pas toucher à l'âge légal du départ à la retraite - François Hollande pendant la campagne s'était engagé à ne pas le relever - mais dans les faits, cotiser plus longtemps c'est partir plus tard, et pas forcément dans les meilleures conditions. Philippe Pihet est en charge des retraites au sein du syndicat Force ouvrière : « Mercredi après-midi, je reçois un courriel d'une femme qui a engrangé 178 trimestres, puisqu'elle a eu des enfants. Elle ne va plus toucher son chômage parce que son entreprise a fermé il y a trois ans ; donc là, dans trois mois elle bascule dans l'aide sociale puisqu'elle n'a plus le droit au chômage. Elle pourrait partir en retraite mais elle n'a pas l'âge ! Et du coup elle va se retrouver pendant deux ans et demi à ce que l'on appelle l'allocation de solidarité spécifique (471 euros par mois). Comment voulez-vous expliquer à cette dame qu'il faut allonger le nombre de trimestre ou qu'il faut reculer l'âge de l'activité ? ».
Un constat que dresse également Eric Aubin, en charge des retraites à la CGT. Les parcours professionnels d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ceux d'hier, Il faut prendre en compte désormais la précarisation de l'emploi, les interruptions, les périodes de chômage à rallonge : « Il faut prendre en compte la situation de l'emploi telle qu'elle est aujourd'hui dans notre pays ! Nous avons trois indicateurs qui sont au rouge : le chômage des jeunes, le chômage des seniors, le chômage longue durée. Et l'on ne créera pas d'emploi parce que le niveau de croissance n'est pas au rendez-vous. Et l'on demande aux salariés de travailler plus longtemps ? Je crois que c'est complètement utopique, complètement ubuesque ! ».
Refonte du calcul des pensions des fonctionnaires
L'autre sujet qui enflamme les syndicats c'est l'alignement partiel du régime des fonctionnaires sur le privé. Aujourd'hui, les pensions des fonctionnaires sont calculées sur les six derniers mois de salaire, contre la moyenne des vingt-cinq meilleures années pour un salarié du privé. S'agit-il d'un traitement de faveur ? Non, répond Bernadette Groison de la FSU, la Fédération syndicale unitaire, le parcours professionnel n'a rien à voir : « Les fonctionnaires ont un déroulement de carrière linéaire, c'est à dire qu'il faut attendre la fin de sa carrière pour atteindre la meilleure position, et le meilleur salaire. Plus vous abaissez la barre du calcul, plus, de fait, vous baissez le niveau de pension auquel vous aurez droit. C'est pour cette raison que nous avions obtenu il y a bien longtemps déjà que ce calcul se fasse sur les six derniers mois de salaire des fonctionnaires. On le sait très bien dans le privé, et en particulier pour les cadres, la carrière peut être en dent de scie, ce n'est pas le cas dans le public ! »
Des questions récurrentes et inhérentes à la réforme des retraites
« Quand on vit plus longtemps, on peut travailler plus longtemps », assurait dimanche encore Marisol Touraine, la ministre française de la Santé. Une évidence que tempère Bruno Pallier, chercheur au CNRS: encore faudrait il s'en donner les moyens : « Fondamentalement, le problème que nous avons c'est qu'il n'y a pas assez de gens qui travaillent et qui paient des cotisations pour financer notre système de retraite. Ca se traduit par favoriser la possibilité, voire le souhait pour les salariés de travailler plus longtemps. Et je crois qu'il faudrait beaucoup réfléchir sur les conditions de travail d'une part, mais aussi sur la formation tout au long de la vie pour permettre aux salariés d'avoir les capacités de travailler plus longtemps. En général, dans une entreprise en France, au delà de 45 ans, si vous demandez une formation on vous répond que vous êtes trop âgé, ce qui est absurde par rapport à l'idée qu'il faudrait travailler encore vingt ans quand on a 45 ans ! Et d'autre part, on ne fait pas beaucoup d'effort en France pour améliorer les conditions de travail et adapter les tâches et les postes pour les salariés de plus de 55 ans. Il faut se donner positivement le moyen de travailler plus longtemps. »
Il faudrait aussi que le gouvernement se donne le temps de réformer, de réfléchir aux mutations nécessaires du système, et de penser, non pas aux retraités d'aujourhdui - en tentant de répondre à une situation économique donnée - mais bien à ceux qui partiront à la retraite dans vingt ou trente ans.