Un parquet financier national en France: pour quoi faire ?

C’est un projet lancé par le président de la République pour moraliser la vie publique au lendemain de l’affaire Cahuzac : la création d’un parquet financier. Avec à sa tête un procureur spécialisé doté d’une compétence nationale, cette nouvelle instance pourrait ouvrir des enquêtes préliminaires sur des faits de corruption ou de fraudes fiscales, importantes en France comme à l’étranger. Le Conseil des ministres étudiera le mardi 7 mai 2013 ce projet de loi.

La création de ce parquet financier « alliant concentration des moyens et efficacité des procédures » selon les termes utilisés par François Hollande, provoque davantage de scepticisme chez les magistrats que d’enthousiasme. Le procureur spécialisé qui dirigera ce parquet financier sera indépendant du parquet de Paris mais comme ce dernier, il sera placé sous l’autorité du procureur général de Paris, un des plus hauts postes de la magistrature française, ce que personne ne voit comme une garantie d’indépendance. 

Ce nouveau parquet aurait aussi pour objectif de mettre en commun les moyens de la police, de la gendarmerie, du fisc et des douanes. Un pari à lui seul déjà bien ambitieux. Elaboré dans la foulée des aveux de Jérôme Cahuzac, concernant son compte bancaire non déclaré à l’étranger, le projet de loi essuie d’ailleurs les critiques de certains magistrats qui lui reprochent d’abord d’avoir été préparé dans la précipitation. Autre point de litige, le manque de concertation avec les professionnels d’où découle, selon eux, un projet qui manque de clarté.

Doublon et verrou

Première crainte : les compétences insuffisamment définies dans les domaines de la corruption, du trafic d’influence, de la prise illégale d’intérêt et du détournement de fonds publics, de la fraude fiscale et du blanchiment de l’ensemble de ces infractions. Ce flou risque, selon les spécialistes, d’entraîner des blocages dus à la concurrence entre le procureur du parquet financier et les autres. D’autant plus qu’il existe, depuis 2004, huit pôles économiques et financiers régionaux créés spécialement pour lutter contre la criminalité organisée et la délinquance financière, les Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS).

Certes, la compétence de la nouvelle instance sera nationale mais on ne sait pas si elle se substituera aux pôles régionaux ou si elle les « coiffera ». En revanche, on sait d’ores et déjà qu’en matière de délits boursiers, le procureur financier aura une compétence exclusive. Reste que pour tout ce qui touche le secteur fiscal, le ministère de l’Economie et des Finances demeure le seul à pouvoir demander une enquête en déposant plainte. C’est ainsi que le « verrou de Bercy » avec Tracfin, la cellule de renseignement financier du ministère, demeure incontournable et ne semble pas près de sauter, parquet financier ou pas.

Question de moyens

Mises à part ces questions de statut qu’il faudra bien éclaircir pourtant, la tentation est grande de ne voir dans cette création d'un parquet spécialisé qu’une énième structure qui vient s’ajouter à bien d’autres. « Si les mesures annoncées pour une plus grande transparence de la vie politique et contre les paradis fiscaux sont encourageantes, celles pour lutter contre la délinquance financière ne sont décidément pas à la hauteur. Il manque manifestement au gouvernement et au Parlement la volonté politique de donner à l’autorité judiciaire l’indépendance et les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission », a ainsi réagi le Syndicat de la magistrature, classé à gauche.

Quant à l’Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession, elle ne voit aucun intérêt à la création de ce « super parquet », les magistrats ayant déjà la possibilité d’enquêter sur tout le territoire. « Plutôt que de créer un parquet national, autant renforcer les JIRS qui ont l'habitude de travailler sur ces questions », estime Richard Samas, son secrétaire national, qui rappelle que le nombre de magistrats du parquet dans la JIRS de Paris est passé de 14 à 7 entre 2007 et 2012, tandis que le nombre de juges d'instruction passait de 13 à 8 dans la même période. 

On en revient donc à l’essentiel, à savoir que d’un côté comme de l’autre, juges d’instruction et parquetiers estiment que « ce n’est pas d’un texte qu’ils ont besoin, mais de moyens ».

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