Affaire Cahuzac: «À la méfiance, se substitue le dégoût de la politique»

Cela pourrait s’appeler « opération mains propres ». François Hollande doit présenter cette semaine ses mesures pour garantir la transparence de la vie politique. Le projet de loi doit être présenté devant le Conseil des ministres le 24 avril, pour un passage devant le Parlement programmé «avant l’été». Des mesure rendues obligatoires, après l’onde de choc provoquée par l’affaire Jérôme Cahuzac. Bruno Jeanbart, directeur général adjoint de l’institut de sondage OpinionWay, livre son analyse des conséquences du scandale.

RFI : L’institut OpinionWay, que vous dirigez, a réalisé un sondage publié ce lundi 8 avril pour Le Figaro selon lequel 77 % des Français estiment que les élus sont « plutôt corrompus ». Ce n’est pas une surprise, en pleine affaire Cahuzac. Mais c’est la première fois qu’ils sont autant remontés contre l’Exécutif, que ce score est aussi élevé...

Bruno Jeanbart : Oui, c’est la première fois, même si la tendance sur le long terme est clairement celle d’une opinion qui avait le sentiment que les élus étaient plutôt corrompus. En décembre 2010, par exemple, on était à 64 %.

Mais ce qui est frappant, c’est la progression de 8 points, depuis octobre 2011, qui montre qu’aujourd’hui, il est vrai que les affaires du type de celle de Cahuzac ont un effet absolument délétère sur l’opinion, parce qu’elles s’inscrivent déjà sur le socle d’un sentiment de corruption très élevé, qui touche tous les types d’élus. On voit dans les enquêtes que même les élus locaux, qui étaient épargnés auparavant, sont parfois aujourd’hui mis en question par les Français.

L’Exécutif n’est pas le seul touché par cette défiance de l’opinion ?

Non, il n’y a pas que l’Exécutif. Cela va très au-delà. C’est évidemment, avant tout, les parlementaires qui sont visés : traditionnellement, en France, on n’aime pas beaucoup les députés, les sénateurs. Mais ce sont aussi des élus locaux. Et il faut dire, aussi, que dans le passé il y a eu des affaires concernant la vie locale.

Il y a cette idée de corruption, mais aussi un sentiment de « dégoût », pour 36 % des personnes interrogées. Le terme est vraiment très fort...

Oui, le terme est très fort. Ce qui est inquiétant, c’est qu’à la méfiance que suscitait la politique depuis plusieurs années, est en train de se substituer petit à petit cette notion de dégoût, qui montre vraiment la distance qui s’installe entre les Français et leurs élus.

Les personnes qui placent encore de l’espoir dans la politique sont aujourd’hui très marginales dans le pays. Il y en a seulement 6 % qui éprouvent ce sentiment, quand ils pensent à la politique.

Y-a-t-il une différence, entre les électeurs de droite et de gauche ?

Oui, très largement. On voit que le très fort rejet de la politique est très élevé notamment dans l’électorat d’extrême-droite. 60 % des électeurs de Marine Le Pen éprouvent avant tout du dégoût, quand ils pensent à la politique. Alors qu’à l’inverse, à gauche c’est beaucoup plus faible. Par exemple, 21 % seulement des électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Ce qui explique d’ailleurs que le potentiel de captation du vote protestataire est beaucoup plus fort à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche. Les électeurs de Mélenchon sont ceux qui sont les plus nombreux à éprouver de l’espoir en pensant à la politique. C’est un électorat beaucoup plus politisé que l’électorat de la droite radicale.

Vous parliez du Front national. Marine Le Pen réclame un remaniement ministériel et la dissolution de l’Assemblée nationale. Là-dessus, les Français sont plus partagés...

Oui, beaucoup plus, parce que dans le fond, évidemment que la dissolution séduit l’électorat de l’opposition, que ce soit les électeurs de Sarkozy en 2012 ou ceux de Marine Le Pen. Mais elle est clairement rejetée aussi bien par l’électorat de gauche que par l’électorat du centre.

Reste la possibilité d’un remaniement qui séduit, même à gauche. Mais on voit bien que dans le fond c’est une réponse qui n’aurait pas beaucoup de sens, si elle ne consistait qu’à changer les hommes. Et ce que réclament finalement une partie des Français, à travers un remaniement, c’est aussi un changement de politique, des mesures différentes. Et ça, il n’est pas du tout certain qu’un remaniement le permettrait.

Ces chiffres que l’on évoque, sont-ils uniquement liés à l’affaire Cahuzac ou traduisent-ils autre chose ?

Non, je crois que ça va très au-delà, finalement. D’abord ça s’appuie finalement sur le sentiment que « les hommes politiques ne servent plus à grand-chose », parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’impact, d’influence, sur la vie quotidienne des Français, sur le cours des choses, notamment sur les questions économiques et sociales. Je crois que ces questions d’affaires sont importantes. Mais elles prennent une telle ampleur parce qu’elles se situent en période de crise économique, à une période où il y a un mécontentement déjà très fort à l’égard de l’action du pouvoir.

Le gouvernement va tenter cette semaine d’impulser un « choc de moralisation », avec toute une série de mesures pour plus de transparence, notamment. N’est-il pas déjà trop tard ?

C’est toujours trop tard, dans la mesure où une partie des dégâts seront faits. Mais il vaut mieux, malgré tout, répondre d’une certaine manière à des attentes qui sont celles des Français, plutôt que de ne pas du tout y répondre. Je dirais que l’on ne peut pas espérer faire comme si il n’y avait pas eu d’affaire Cahuzac avec des mesures de ce type. En revanche c’est absolument essentiel, pour essayer, petit à petit, de renouer un minimum de confiance entre le pouvoir et les Français.

Dans le sondage publié par Le Figaro, votre institut n’a pas posé la question d’une VIe République, ce que réclame notamment à cor et à cri Jean-Luc Mélenchon. Pensez-vous que c’est une des pistes qui pourrait intéresser les Français ?

De manière générale, les Français ne sont pas toujours très intéressés par les réformes institutionnelles. C’est une des pistes qui pourrait exister. Mais la difficulté c’est que ce à quoi les Français sont le plus attachés aujourd’hui, en termes institutionnels, c’est l’élection au suffrage universel du président de la République. Or, c’est ce que remettent avant tout en cause les tenants de la VIe République. Donc, je crois que, oui, une VIe République pourrait intéresser. Mais probablement pas celle qui est souvent défendue par les acteurs.

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