Jean-Louis Margolin sur RFI: «Des extrémistes bouddhistes existent traditionnellement en Birmanie»

Les récentes violences religieuses en Birmanie ont «terni l'image du pays». Ce sont les mots prononcés par le président birman Thein Sein qui a invité ses concitoyens à coopérer pour avancer sur le chemin de la démocratie. Des violences communautaires entre boudhistes et musulmans, qui d'après un bilan officiel auraient entraîné la mort de 43 personnes et la destruction d'environ 1 300 habitations. Quelles sont les implications de ces heurts inter-communautaires sur le processus de retour à un gouvernement civil en Birmanie ? Jean-Louis Margolin est maître de conférence en histoire contemporaine à l'université d'Aix-Marseille, chercheur à l’Institut de recherche asiatique à Marseille et a publié Violences et crimes du Japon en guerre, chez Hachette Littératures.Il a répondu aux questions d'Alexandra Cagnard.

RFI : Est-ce que ces accusations portées à l’encontre du pouvoir vous semblent fondées ?

Jean-Louis Margolin : C’est difficile à dire. Il faudrait quand même avoir des informations plus précises, puisque évidemment, ce sont quand même des accusations graves. Donc, il faudrait quand même qu’elles soient fondées sur un peu plus que certains soupçons.

Il y a des enjeux de pouvoir assez confus, compte tenu de la nature du régime. Entre les secteurs progressistes, prêts à l’ouverture, qui suivent le président Thein Sein et des secteurs plus conservateurs, ceux qui ont bâti leur pourvoir et souvent leur fortune pendant quand même cinquante années de dictature militaire, et qui sont effrayés à l’idée de tout changement quel qu’il soit. Même en ménageant une certaine part à l’armée birmane, tout en restant dans un processus de démocratisation, elle perdrait une partie de son pouvoir et éventuellement aussi une partie de sa richesse.

On ne peut pas exclure ce genre de manœuvres de certains opposants au président Thein Sein, qui paraît s’être largement engagé dans son propre avenir politique sur cette ouverture démocratique. Mais rien ne permet une totale certitude à ce niveau.

Impossible de les identifier, par exemple, il ne pourrait pas s’agir de personnalités qui étaient préalablement visées par les sanctions internationales ?

Les sanctions internationales sont quand même en train d’être toutes levées. Ce n’était pas tellement des sanctions personnelles que des sanctions contre le régime tout entier. Aujourd'hui, la communauté internationale, les principaux partenaires de la Birmanie, essaient quand même de jouer sincèrement la carte de l’ouverture, de faire confiance à l’actuel président, d’où une levée très rapide de la totalité des sanctions.

Justement, le président a pris la parole à plusieurs reprises ces derniers jours. Jeudi, et puis dimanche, il a désigné des extrémistes religieux, sans forcément nommer un bord ou l’autre, les bouddhistes ou les musulmans ?

On a ici quelques hypothèses plus vraisemblables. En ce qui concerne l’extrémisme musulman, on sait bien qu’en Birmanie comme ailleurs, ce sont des choses qui existent.

Le public non-asiatique pourrait peut-être être un peu plus surpris d’entendre parler d’extrémistes bouddhistes. Mais c’est quelque chose qui existe et qui est d’ailleurs tout à fait traditionnel en Birmanie. Plus, sans doute, que dans d’autres pays bouddhistes de la région, puisqu’il existe depuis la lutte anti-coloniale, donc depuis le début du XXe siècle. Il s'agit d'une sorte de suprêmatie bouddhiste et birmane contre les minorités, qui ne sont ni Birmanes ni bouddhistes, contre les minorités à la fois chrétiennes et musulmanes, une partie du clergé bouddhiste a traditionnellement joué le rôle de fer de lance, y compris en encourageant des actions violentes.

Certains reprochent à Aung San Suu Kyi trop de discrétion...

Il est clair que Aung San Suu Kyi est une personnalité qui est tout à fait remarquable, il n’y a aucune raison de la vouer aux gémonies près l’avoir encensée. Mais elle mène un jeu politique compliqué, puisqu’il n’y aucune raison de penser qu’elle ait renoncé à ses idéaux fondamentaux de démocratie, d’une démocratie pacifiée, y compris dans les rapports, justement, entre majorité bouddhiste et birmane, et minorités entre autres chrétiennes et musulmanes.

Mais en même temps, elle doit faire avec. Elle a fait le pari d’un processus d’ouverture, d’un processus démocratique qui ne se situe pas, du point de vue des démocrates birmans, dans une confrontation avec l’armée, mais plutôt dans un appui au secteur de l’armée entourant le président Thein Sein, qui est prêt à une évolution en ouverture.

C’est un jeu dangereux, difficile, qui l’oblige à un certain nombre de compromis, que certains pourraient qualifier de compromissions. J’aurais tendance à dire que pour l’instant, il faut quand même lui faire confiance, une confiance lucide, pour mener à bien cette stratégie complexe et justement, éviter toute espèce de déraillement.

Aujourd'hui, ceux qui ont  le pouvoir ce sont quand même les militaires ; et certains ne seraient sans doute que trop contents de voir Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie qu’elle préside, se relancer dans une stratégie de confrontation directe avec le pouvoir. Ce qui serait évidemment un prétexte pour interrompre tout processus d’ouverture, et éventuellement pour la remettre en prison ou en résidence surveillée.

Aujourd’hui, quatre quotidiens sont publiés en Birmanie. Est-ce que c’était une véritable attente de la part de la population ?

Oui, incontestablement ! C’est un des éléments importants d'un processus de démocratisation, qui maintenant remonte à dix-huit mois. Je pense que le  moment encore plus décisif a été la libération de la quasi-totalité des détenus politiques, et l’autorisation de fonctionner à nouveau pour les partis d’opposition, de se présenter aux élections, d’avoir des élus, etc.

Mais la libéralisation des médias, qui ne correspond pas encore à une libération complète, à une démocratisation complète, est un moment évidemment décisif dans cette reconquête de la liberté d’expression, après quand même un bon demi-siècle de dictature.

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