RFI : Les tensions entre les deux communautés ne sont pas récentes
Célestine Foucher : C’est vrai que des tensions latentes entre des communautés bouddhistes et musulmanes en Birmanie existent depuis de nombreuses années. Elles ont été exploitées par des régimes successifs afin de créer une situation où l’armée est nécessaire, dans le contexte d’un pays dirigé depuis soixante ans par une junte militaire. Beaucoup de Birmans ethniques voient l’identité birmane et l’identité bouddhiste comme une seule et même chose. Le nationalisme, le bouddhisme et l’identité birmane sont étroitement liés historiquement aux yeux de beaucoup de Birmans.
Du coup, le nationalisme et le bouddhisme ont été constamment repris par les dictatures successives pour tenter de justifier leur domination et obtenir un soutien du public. Cela a créé un environnement volatile qui est actuellement exploité par plusieurs organisations et individus, qui ont mené des campagnes nationalistes haineuses et d’incitation à la violence contre les musulmans, qui se propagent de manière très inquiétante en ce moment en Birmanie. Il y a une campagne qui s’appelle la « Campagne 9-6-9 » (ces chiffres font référence aux préceptes bouddhistes) et cette campagne cible les commerçants musulmans, appelle au boycott des entreprises musulmanes. Et depuis de nombreux mois, des tracts et des lettres anti-musulmans ont été largement distribués à travers la Birmanie.
Vous avez pu joindre des gens sur place. Comment vous relatent-ils la situation ?
A situation est terrifiante. Les gens vivent clairement dans la peur dans les deux communautés. Il ne faut pas non plus généraliser : il y a des gens des deux côtés qui veulent juste vivre en paix et dans le calme dans leur pays. Mais des témoins oculaires affirment avoir vu des barrages routiers mis en place par des Birmans pour arrêter les chauffeurs musulmans, qui sont violentés, et on a tenté de les tuer. Les violences sont présentes dans tout le pays et même à Rangoon où les gens commencent à avoir peur. Juste avant les violences à Meiktila, une lettre a circulé auprès des populations qui critiquait les musulmans parce qu’ils mangeaient par exemple de la viande halal ou parce qu’ils vont dans les mosquées régulièrement. Tout cela n’est pas venu de nulle part et tout cela a augmenté les violences.
Pour aller plus loin dans l’analyse, certains évoquent une manipulation orchestrée par des proches des militaires qui seraient mécontents du président. C’est aussi votre sentiment ?
On ne peut pas le dire franchement, ce sont plus des choses inhérentes à la société birmane. Ce qui est vrai, c’est que ces violences se déroulent dans un contexte de tensions religieuses croissantes auxquelles ni le gouvernement birman, ni les dirigeants politiques et religieux du pays ne répondent de manière suffisante. Les organisations et les individus responsables de cette intolérable incitation à la haine et à la violence continuent de le faire en toute impunité. Ils ne sont pas tenus pour responsables des violences et le gouvernement n’a pas réussi à faire face à la crise actuelle. Et par son inaction, il a permis ces violences.
Selon vous, le régime veut rester impuissant ou est-il impuissant ?
Le régime veut rester impuissant pour montrer l’importance des militaires. Maintenant, je ne pense pas qu’il veuille rester impuissant parce qu’en même temps, ce n’est pas dans leur intérêt dans ce processus de réformes qu’ils mettent en place. Après pourquoi ils ne répondent pas aux violences ? Pourquoi ils n’arrêtent pas ces violences ? C’est une question qu’on peut se poser alors qu’ils ont les moyens de les arrêter.
Pourtant lundi soir 25 mars, le gouvernement a mis en garde contre l’extrémisme religieux. L’état d’urgence dans certaines communes a débuté vendredi. En revanche, pas d’appel au calme des autorités religieuses. Que doit-on en déduire ?
Certains moines ont participé à ces hostilités. Il y avait l’histoire d’un moine dans les années 1930 qui a mené une rébellion contre la domination coloniale britannique en utilisant cet appel au nationalisme bouddhiste. Evidemment, il ne faut pas généraliser à tous les moines. Certains moines ont engrangé ces violences. Mais c’est sûr que les autorités religieuses ne font rien pour arrêter cela.
Est-ce que l’on peut parler d’Etat raciste puisque ces violences ethniques, ce n’est pas la première fois ? L’an dernier, c’était contre les Rakhines et les Rohingyas.
On peut parler d’atmosphère de haine raciale et de racisme et de xénophobie, c’est certain. Certaines personnes alertent déjà pour ne pas qu’ils aillent plus loin et que ça se transforme en génocide. On n’en est pas là. Mais il faut vraiment faire preuve de vigilance. La communauté internationale doit agir maintenant puisque le gouvernement birman ne fait pas assez. Il faut vraiment que la communauté internationale aide avec son expertise pour cesser ces tensions. Surtout que la montée des tensions religieuses constitue la plus grande menace pour la paix et pour une future transition dans la démocratie en Birmanie, d’autant plus que les violences se répandent dans tout le pays.
Est-ce que le gouvernement a finalement autant de marge de manœuvre ? On sait que la Birmanie est dans une situation délicate et que se profile à l’horizon, en 2015, un scrutin législatif ?
Selon moi, c’est quand même toujours l’armée qui contrôle cela. Malheureusement, on a eu écho de certains Birmans qui disaient justement que seule l’armée peut résoudre le problème. Et c’est ce que l’armée a toujours tenté de faire : utiliser les violences pour asseoir sa domination et montrer que la Birmanie avait besoin d’elle. C’est clairement le danger, et le danger qui découle de cela, sachant que le gouvernement est toujours contrôlé en grande partie par les militaires, c’est que les militaires puissent prendre de nouveau le dessus. Selon la Constitution de 2008, l’armée peut reprendre le pouvoir d’un coup d’un seul quand l’état d’urgence est mis en place. Donc il y a un réel danger.
Une volonté d’ouverture en tout cas à laquelle vous ne croyez pas.